Portrait de pharmacien actionnaire: Smail Moussaoui « les logiciels de gestion des officines ne sont exploités qu’à 20% de leurs capacités »
S’il est natif d’El Tarf une wilaya située à l’extrême Nord Est du pays, frontalière avec la Tunisie, Smail Moussaoui a suivi la grande partie de son enfance et de sa scolarité à Annaba. Comme beaucoup de ses jeunes camarades, il a pratiqué le football en club et s’orienta vers la boxe, dont on peut en retrouver les traits du boxeur sur le visage comme il nous le souligne. Son frère aîné, Abderrahmane, fonctionnaire et autodidacte, possédait une bibliothèque dans laquelle se plongeait régulièrement Smail dans les années 70.
Impressionné par le charisme fraternel, sa personnalité en fut influencée. A son adolescence, il découvre dans la collection, le roman d’Alexandre Dumas « Le Comte de Monté Cristo » qui le tient en haleine tout au long de la lecture et le plonge dans l’aventure à l’état pur. La complexité de l’intrigue du roman, a sans doute contribué à dessiner une grande capacité d’analyse chez notre jeune homme. Attiré par l’aventure, il s’empare des romans de Jack London dont « L’appel de la forêt », « Croc-Blanc » , où les thèmes abordés lui apparaissent pertinents, offrant une vision de la survie, de la nature tout en développant une force de caractère que l’on retrouvera chez notre pharmacien.
Plus tard, ses goûts littéraires le mèneront vers les romans de Yasmina Khadra qui apparait aux yeux de notre apothicaire, comme un auteur ingénieux produisant une source pour mieux comprendre notre société. Smail Moussaoui regrette que la profession lui ait considérablement réduit son espace lecture et le temps qui lui était consacré.
Dans sa vocation touristique, El Tarf est connue à travers le Parc National d’El Kala une merveille naturelle de 1590 espèces végétales dont 27 protégées, 80 endémiques et 20 espèces figurant dans la liste rouge de l’Union International pour la Conservation de la Nature (IUCN), 175 champignons et 117 lichens. C’est une réserve classée sur la liste de la convention RAMSAR relative aux zones humides d’importance internationale avec le Lac Tonga, le Lac Mellah, le Lac Oubeira où on retrouve une faune riche de 718 espèces entre mammifères, reptiles, oiseaux, poissons marins, insectes. Ces espaces offrent une flore et une faune remarquables.
On trouve également le port d’El Kala (La Calle), qui remonte aux civilisations phéniciennes qui en ont fait un comptoir. Les fouilles archéologiques lancées en 2003 qui ont débuté sur le site terrestre dit Ksar Lalla Fatma se sont étendues vers la zone subaquatique Segleb. Les nombreux vestiges archéologiques découverts notamment suite aux travaux de l’autoroute Est Ouest, témoignent de nombreux passages de civilisations.
Dans cette wilaya, de nombreuses personnalités y ont vu le jour. On retrouve Amara Laskri dit Bouglez, officier de l’ALN commandant au sein de la base de l’Est en 1956 (Zone de Soukh Ahras) durant la guerre de libération nationale, qui était connu pour son sens de l’organisation et qui unifia toutes les parties de la zone frontalière sous son autorité. Il rallia la coalition dissidente d’Ahmed Benbella. Il porte le nom de la source d’eau de la région. Abderahman Bensalem, autre combattant qui a été chef du 2e bataillon de la base de l’Est et membre du conseil de la révolution.
Mondovi, l’actuel Dréan a vu naître Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957, et Bouteldja l’ancien président de la république de 1979 à 1992, Chadli Bendjedid. Le parcours de Smail au lycée se fera à travers les maths qui le passionnent au point où il termine avec la meilleure moyenne dans la filière sciences, décrochant son bac en 1986 et choisissant la filière pharmacie à l’université de Annaba.
Après ses études, le diplôme en poche il part pour son service national d’abord à SBA puis affecté à Blida. Les nombreuses missions qui lui sont confiées lui font découvrir les différentes régions du pays, notamment le Sud impressionnant jusqu’en 1996. La « quille » obtenue, il ouvre son officine en aout de la même années dans une petite commune relevant de Ben Mehidi, avec des débuts difficiles et en 1997 il procède à son transfert au chef lieu. Si à ses débuts il était seul, il a du former son propre personnel et son équipe s’est renforcée par la suite d’une pharmacienne assistante.
Smail Moussaoui est très attaché à l’informatisation de l’officine, à ses débuts conscient de l’utilité de cet outil, il acquiert les équipements et un logiciel sous environnement DOS et fait entrer sa pharmacie dans l’ère moderne. Pour lui ce n’était pas un luxe, mais un outil indispensable pour assurer à la fois une bonne gestion des médicaments mais aussi une sécurisation de leur dispensation.
Avec les statistiques générées, Smail Moussaoui a une meilleure visibilité du fonctionnement de sa petite entreprise. En 2006, il acquiert un nouveau logiciel sous Windows et fait migrer ses données pour conserver l’historique des mouvements. Ce nouvel outil lui permet de produire des statistiques beaucoup plus puissantes que la version antérieure, comme la possibilité de suivre l’évolution des médicaments par classes thérapeutiques. Smail Moussaoui mentionne que malheureusement les logiciels de gestion des officines LGO, ne sont pour la plupart exploités qu’à 15 à 20% de leurs capacités par les pharmaciens, nombreux sont celles et ceux qui ne profitent pas de la force des données statistiques produites, de la version qui détecte les interactions médicamenteuses.
Avec un grand soulagement, notre pharmacien nous cite de puissants développements dans les LGO mis en place, dont le plus poignant a été l’intégration de l’application CHIFA évitant une double saisie anormale par importation automatique des données permettant un déstockage en temps réel. On se souvient des écarts de stocks importants et des erreurs générées du fait de la double saisie des données des assurés sociaux dans le cadre du tiers payant.
A la question de savoir ce qu’il pense du code barres sur le médicament, Smail Moussaoui nous livre ses espoirs de le voir sur les boites de produits pharmaceutiques, car la numérisation ne peut être que bénéfique pour notre secteur elle induit une meilleure gestion, une meilleure traçabilité et une meilleure maitrise de la disponibilité de ces produits. Poursuivant dans cette voie, il évoque la numérisation des ordonnances qui s’avère être nécessaire pour des questions de sécurité des patients, et pense que les structures sanitaires publiques devraient être informatisées et participer à l’élaboration des dossiers électroniques des patients.
Pour lui, relier toutes les structures publiques et privées via un système sécurisé, permettrait entre autre de mieux lutter contre les résistances bactériennes et de mieux contrôler les dispensations de substances psychotropes ajoutant que cela n’est peut être pas facile à mettre en place mais nous avons les moyens de le faire. Dans le bilan qu’il dresse sur l’officine, il distingue la période avant le conventionnement (2006) et après. Il évoque un virement de 180 degrés avec la mise en place du système Chifa, car il est quasi impossible, du point de vue économique, de travailler sans la signature de la convention tiers payant, les assurés sociaux représentant près de 80% de la population générale.
Du jour au lendemain, l’officine s’est métamorphosée avec surtout l’arrivée des malades chroniques et la nécessité de l’informatisation de cet espace santé, le recrutement de personnel. Les volumes des ventes ayant augmenté, la gestion informatisée des stocks est devenue incontournable. L’autre revers de la médaille comporte plusieurs éléments, parmi lesquels Smail nous cite le phénomène de la concurrence déloyale qui s’est installée récemment.
A la question de savoir si le modèle économique actuel de l’officine n’incite pas à ces pratiques, ces dépassements, il nous répond qu’une diversification des activités est nécessaire et qu’elle sera atteignable avec le temps. La rémunération qui devrait accompagner ces services, s’inscrit dans le temps et fournirait une réelle bouffée d’oxygène pour les pharmaciens, car l’officine ne peut pas rester en l’état actuel, elle doit évoluer nous ajoute-t-il.
Smail Moussaoui soutient les groupements de pharmaciens comme Pharma Invest duquel il est actionnaire, car pour lui ils offrent de l’éthique avec professionnalisme, de l’écoute du suivi et n’ont pas pour vocation le seul but lucratif. Leur équipe dirigeante étant constituée de pharmaciens, Smail pense qu’ils sont les mieux placés pour aider au développement de la pharmacie.
Sa vision et son approche des questions de la profession avait attiré en 2000 l’attention de son ancien enseignant, membre de l’ordre, qui l’invita à se présenter aux élections. Il fut le plus jeune élu de cette grande région sous la présidence du professeur Djaafar pour deux mandats, intégrant par affinité que l’on devine, la commission statistique et démographie. Cette expérience lui montre l’importante densité des pharmaciens et combien il est nécessaire de mettre en place le numérus clausus à l’université.
Puis, en syndiqué, il sera élu au sein du SNAPO, intégrant le Conseil National. Bercées dans l’ambiance des soins avec leur père, ses filles ont suivi la filière santé avec l’aînée diplômée en médecine, la cadette interne en pharmacie et la plus jeune étudiante en médecine. Une relève assurée toute en santé.
Parmi ses voyages à l’étranger, l’Angleterre a été pour lui une destination à la fois touristique et professionnelle. Il s’est rendu à Londres, en Ireland, en Ecosse avec ses Highlands dont la traversée lui a fait découvrir des paysages spectaculaires, caractérisés par des collines et des montagnes escarpés aux profondes vallées dont les couleurs présentent des textures uniques qui varient selon les saisons. En 2014 il réalise le périple Séville, Grenade et Cordoue, à la découverte de l’ Andalousie cette partie de la péninsule ibérique médiévale qui a été musulmane durant 777 années, l’une des régions les plus emblématiques d’Espagne, avec le Palais de l’Alhambra à Grenade, la Mequita de Cordoue et la Giralda de Séville.
Mais c’est en 2016 qu’il réalisera son plus beau voyage, celui du pèlerinage du Hadj aux lieux saints, un moment de profonde réflexion, de prières, de pardon et de renouveau.