Portrait de pharmacien, Lylia BENTOBAL « le métier de pharmacien est une vocation »
Par Abdellatif Keddad
C’est son sens de l’humanitaire, une vocation chez Lylia Bentobal qui l’a amenée à choisir le métier de pharmacien. Ce choix a été appuyé par la volonté de sa mère, de voir sa fille opter pour une filière qui offre la noblesse du métier, et ceci après avoir réalisé un parcours scolaire entre Constantine et Oum El Bouaghi.
Bentobal: une famille historique
Au cours de sa jeunesse, elle fut fascinée par les hommes et les femmes en blanc, lesquels avaient révélé chez elle un sens de l’humanitaire et la volonté de l’engagement dans la filière santé. Lylia passionnée par les belles lettres, fût très tôt attirée par la lecture, qui l’amena à fréquenter la bibliothèque du centre culturel. Elle fut avide de découverte, de philosophie et d’histoire avec la guerre d’Algérie. Elle qui compte au sein de sa famille, le grand révolutionnaire Lakhdar Bentobal qui avait convaincu les membres de sa famille de Mila, à rejoindre les rangs de la révolution.
Il a fait partie du groupe historique des 22 qui se sont prononcé pour la révolution illimitée jusqu’à l’indépendance, à Alger un certain 25 juillet 1954.(lien). Lylia voulait comprendre le déroulement des évènements qui ont amené notre pays à son indépendance, à la recherche de la vérité. Elle fut à cheval entre 2 villes millénaires Mila, carrefour des civilisations et ville d’origine de la famille Bentobal, et Constantine l’antique Cirta la ville d’adoption.
Constantine, l’antique Cirta
Constantine, qui est aussi sa ville natale est une très belle cité historique, avec un accès difficile, plantée entre 2 rochers. Cirta, de son nom antique, est prestigieuse par son tumultueux passé, tout au longs des siècles qu’elle traversa avec de nombreux moments forts. Lylia se souvient des visites scolaires qui étaient organisées durant sa jeunesse vers le musée de Cirta riche de pièces allant de la préhistoire, aux périodes numides, romaines, hafsides, ottomanes et coloniales. Lylia nous cite l’historien de la ville du Rocher Maamar Benzeggouta, qui a consacré à Constantine un ouvrage en 4 volumes intitulé « Cirta-Constantine, 30 siècles d’histoire , de Massinissa à Ibn Badis».
Elle cite également le docteur Abdelmadjid Merdaci, historien et sociologue auteur d’ouvrage d’histoire de très grande qualité, une personne aux antipodes de l’égoïsme qui aimait partager et transmettre le savoir. La région de Lylia est riche du site exceptionnel de Tiddis, la cité numide étendue sur près de 40 hectares, l’une des mieux conservées du Maghreb. Située entre Constantine et Mila, le site est classé patrimoine national.
Un autre élément du patrimoine numide se situe au Khroub avec le tombeau du roi berbère Massinissa de la dynastie des Massyles, l’Aguellid passionné d’arts et de littérature. Longtemps laissé à l’abandon, le site a fini par bénéficier d’une clôture qui le protège désormais du vandalisme. Les fouilles archéologiques à venir du site ne manqueront pas de nous faire des révélations sur la vie à cette époque.
Lylia Bentobal regrette la disparition des anciens qui emportent avec eux les souvenirs de cités historiques, comme la destruction des escaliers de Coudiat Aty en pierres bleues, vieilles de plus de 130 ans au motif qu’en raison de leur usure ils étaient devenus dangereux pour les piétons. Au niveau des vieux passages, il y a près de 70 escaliers dans l’ancienne cité qui doivent encore être rénovés au niveau de Belle-vue, de Belouizdad, de Sidi Mabrouk, de Bab El Kantera.
Notre pharmacienne cite également la restauration du Palais du Bey dont les transformations ont présenté une conception architecturale très loin de celle du palais original. Elle reste optimiste et garde espoir quant au travail lent et méticuleux que ne manqueront pas de réaliser les archéologues et les historiens.
Constantine et son chemin des touristes
Lylia se félicite de la présence de l’association au sein de laquelle œuvre le pharmacien Mustapha Amrani, pour la réhabilitation du chemin des touristes. C’est un passage de 2.5 km sur 1.5 mètres de largeur dans un relief complexe, accroché à la paroi des rochers au dessus du Rhumel, l’oued qui traverse Constantine au milieu des 2 rochers. Ce cours d’eau, de son nom antique Ampsaga qui prend sa source à Ferdjioua (wilaya de Mila) pour se jeter 250 kilomètres plus loin, dans la Méditerranée à l’est du golfe de Jijel, est le plus important de la région.
Il alimentait dans les années 1920, un barrage qui produisait jusqu’à 1,7 millions de kilowatts-heure d’électricité. Le chemin des touristes qui fut réalisé entre 1843 et 1895 par l’ingénieur F. Remes est fermé depuis 1958 suite à des inondations qui l’endommagèrent. Constantine est aussi la ville des ponts suspendus, reliant les 2 rochers, offrant des vues impressionnantes à près de 175 mètres au dessus du Rhumel.
C’est en 1991, que Lylia Bentobal obtiendra son diplôme de pharmacienne à Constantine. Voulant poursuivre les études en spécialité, passionnée de galénique, elle passe alors son concours national de résidanat qu’elle réussi. Malheureusement, les circonstances ont fait que son nom, présent au départ sur la liste des admis, fini par disparaitre pour des raisons de délais dépassés semble-t-il. Elle rejoint alors le nouvel hôpital de Ain Beida en 1992, où elle est affectée au laboratoire en qualité de pharmacienne chef.
Elle dirigera avec beaucoup de responsabilité, une équipe de 6 personnes pour réaliser l’ensemble des examens de biologie nécessaires. Elle quitte cet emploi 7 mois plus tard, pour des raisons d’incompatibilités. Lylia Bentobal finit par s’installer en libéral à Ain Fakroun en 1993, une région agro-pastorale avec des gens humbles où elle fut la première pharmacienne femme.
Elle bénéficie à ses débuts dans sa pratique professionnelle, de l’accompagnement de ses aînés pharmaciens amis de son père, desquels elle puise l’application des règles éthiques et déontologiques ainsi que les bonnes pratiques. Son contact avec les prescripteurs de Ain Fakroun, fut aussi d’une grande qualité professionnelle.
Les patients écoutaient avec beaucoup d’attention les conseils qu’elle leur prodiguait et appréciaient l’écoute, l’humilité, le respect et l’assurance qu’elle leur offrait. Il est vrai que ce sont des atouts majeurs si l’on souhaite obtenir une bonne observance des traitements. N’est-ce pas là, la raison d’être du pharmacien dont le métier est une vocation.
27 années de pratique officinale à Ain Beida
Elle restera 27 années au comptoir qu’elle n’a jamais quitté, au service de ses patients à Ain Fakroun, en toute abnégation offrant des services liés à la santé, qui apparaitront bien plus tard dans la loi santé 2018. Des patients pour qui elle était la pharmacienne de famille au même titre qu’ils avaient leur médecin de famille. Des patients qu’elle a connu pour certains dès le berceau et qui sont devenus parents.
En professionnelle soucieuse de maintenir ses connaissances à jour, elle avait rejoint dès son installation, l’association nationale Ibn Sina présidée par le Dr Boulbina qui s’attelait à la formation médicale continue de ses membres. Il y rencontra bien plus de médecins que de pharmaciens, bien absents. A son époque, les pharmaciens étaient malheureusement voués à eux-mêmes. La situation économique n’était pas très reluisante. Le modèle officinal ne répondait pas aux besoins de la population, il y avait déjà à cette époque un décalage avec ce qui se faisait sous d’autres cieux.
Lylia Bentobal est une pharmacienne sensible aux préoccupations de la profession. Elle prend attache avec Souad Zidani de Constantine et Habiba Loucif Scandrani d’Alger, avec lesquelles des affinités syndicales se créées. Elle est sollicitée par ses confrères dans la wilaya d’Oum El Bouaghi puis elle est élue lors de l’installation du premier bureau du snapo de la wilaya en 1999, trois années après la fondation du snapo en 1996.
La solution envisagée par Lylia, passe pour le pharmacien, par la reconquête de son prestige. Celui-ci doit regagner sa place derrière le comptoir qu’il a trop souvent abandonné. Il doit aussi reconquérir humainement son malade, en revenant à son écoute et en lui offrant de véritables services de santé, bien plus importants que l’exhibition de boites fut-elles introuvables.
Le tiers payant est très chronophage
Lylia ajoute que le modèle actuel rend très difficile cet exercice de conciliation entre les actes pharmaceutiques et les actes de gestion. L’officine est une entreprise qui doit selon elle, préserver des équilibres financiers. Repenser le modèle économique de l’officine parait être une urgence pour Lylia Bentobal. Elle propose que le tiers payant, qui a bouleversé l’officine, soit intégralement revu. Très chronophage, il a éloigné l’officine des pratiques comme le préparatoire, qui vient d’être mis à l’honneur grâce à l’excellent ouvrage de Souad Naimi, tant attendu et qui tout en redonnant goût pour l’activité, relance la nécessité de développer cette pratique officinale.
Les conseils du pharmaciens doivent être rémunérés
Le tiers payant doit donc être pensé en invitant les caisses à avoir à l’esprit la dimension d’acteur sanitaire qu’est le pharmacien au service de la santé publique, qui a pour mission l’amélioration de l’état de santé des assurés sociaux et partant de là, le rôle économique important du pharmacien dans la préservation de l’équilibre des caisses. Lylia ajoute que les conseils donnés par les pharmaciens aux patients, doivent être rémunérés à partir du moment où ils contribuent à améliorer la santé des patients et qu’ils résultent d’acquisition de compétences, et tout ceci dans un cadre formalisé ou contractuel. Ceci à la lumière des études scientifiques qui montrent la plus value apportée par l’officinal. Partant de là, la mise en place d’un référentiel des bonnes pratiques officinales, devient pour Lylia, un élément qui garantira la qualité des soins fournis. Les groupements ont un rôle important à jouer dans l’organisation des formations et l’accompagnement des pharmaciens.