Portrait de pharmacien: Mohamed Benyagoub un adepte de musique Malouf
Par Abdellatif Keddad
In Le Bulletin du Pharmacien – Pharma Invest spa
septembre 2022, N°060
Un pharmacien musicien, imprégné de Malouf
Les Benyagoub forment une famille bônoise installée dans l’antique Hippone aux alentours de 1740. Originaires de la région de Biskra entre Khenget Sidi Nadji et Sidi Okba, ils sont issus des Douaouda, une lignée arabe Hilalienne. Les alliances maritales les ont rapprochés des Banou Souhayl de la région du Yemen d’où descend la famille de sa mère. La longue épopée familiale des Benyagoub, les a amenés du Yemen, vers Fellouja en Irak et le plateau du Nejd en Arabie centrale ponctuée de nombreuses migrations, qui amenèrent trois frères à s’installer successivement dans les deux régions du Maghreb (l’actuelle Tunisie et l’actuelle Algérie dans la région du Hodna). On y compte de nombreux savants musulmans (Oulémas), dont l’arrière grand père maternel de M.F.A.Benyagoub qui fut cadi de Guelma et fils de Ahmed le cadi.
Parcours scolaire. Dans les années 70, le père de M.F.A. Benyagoub, cadre supérieur dans une entreprise publique, décida de quitter Annaba pour une installation à Ouenza dans la wilaya de Tebessa, où le climat présente de meilleures conditions pour soulager l’asthme sévère dont souffre son fils. C’est là que débutera une scolarité entrecoupée par des cures de désensibilisation dans les Hautes Alpes où il s’initie à l’écriture. De retour sur Guelma, suite à l’affectation de son père dans l’unité de production de kaolin de la mine Djebel Debbagh (utilisé dans la fabrication des ustensiles en céramique), il intègre la première promotion de l’école fondamentale, puis progresse jusqu’au lycée dans la filiale ‘math élem’.
Lorsque Djelfa a obtenu le statut de wilaya en 1980, son père y est affecté au niveau de l’exécutif, et c’est là que MFA Benyagoub décrochera son bac sciences en 1982 au lycée Nail Naili. Djelfa aura été pour notre jeune homme, une étape riche en rencontres humaines traversées par les histoires des uns et des autres et les nombreuses activités dont la chasse aux gerboises (petit rongeur du désert). Le bac acquis, c’est de retour dans sa ville natale à Annaba que se tracera le parcours universitaire de Mohamed dans la filière tronc commun bio-médical au milieu d’une promotion de 1 200 étudiants. Il y retrouve ses camarades de Annaba, de Guelma, de Skikda, de Kabylie, etc. et tisse de nouvelles relations avec d’autres amis provenant de l’ensemble des wilayas proches et moins proches ce qui marquera pour lui une très belle époque de l’université algérienne, nouant des amitiés tous azimuts, qui existeront encore quarante années plus tard.
Université et choix de la filière pharma. Si des professionnels de santé figurent dans la famille dont le docteur Benyagoub en psychiatrie et enseignant, rien ne prédestinait MFA Benyagoub à la filière pharmacie. Le choix est arrivé lors de l’orientation de la première année, il intégra alors une promotion de 42 étudiants en pharmacie. L’encadrement universitaire dont avaient bénéficié les promotions successives, a été des meilleurs (Madame Oulaa hémato, parasito, les coopérants étrangers Pr Jean Marie Koch, Anne Marie Mariot, Boulada, Cabana, Roxy etc.) sur un cursus accéléré et condensé de quatre années. La densité des cours rendait très pénible l’acquisition des connaissances, les abandons étaient fréquents, les saturations intellectuelles également. Face à cette difficulté, Benyagoub avait décidé de prendre une année sabbatique pour mieux aborder la seconde partie du cursus. Il fini par décrocher son diplôme de pharmacien de l’université de Annaba, en 1987.
Tourisme et culture. Benyagoub en passionné de sa ville l’antique Hippone, qui devint Bône, puis Bouna et enfin Annaba dont le nom signifierait ‘jujubier’ en arabe, l’a décrit comme étant ‘l’une des plus belles baies du monde’. Un littoral époustouflant, protégé naturellement de la houle et des vents du nord-ouest par le promontoire du Cap de Garde avec des plaines (El Bhaira) qui s’étendent jusqu’au massif de l’Edough et qui ont fait la fortune de Bône avec le coton, le tabac, la vigne, etc. Annaba est un ancien comptoir punique dont l’histoire se confond avec celle de Carthage.
Massinissa l’intégra dans le royaume numide qui en fit une ville royale au IIIe siècle av J.-C (Hippo Regius), les nombreuses inscriptions libyques l’attestent. Elle fut tour à tour occupée par les romains, les vandales qui n’ont laissé que peu de traces, les byzantins, puis l’antique cité est abandonnée à la fin du Xe siècle au profit d’une ville nouvelle (Bouna el Hadida) édifiée à l’arrivée des Arabes à 2 km de là (El Bekri).
C’est aussi une destination touristique prisée avec ses plages, son port de pêche, son port de plaisance, son phare, le site de Seraidi, attirant de nombreux investisseurs qui en ont fait une ville cosmopolite. Haudin, l’historien, évoque la résistance lors du début de la colonisation française, menée par l’aïeul Belgacem Benyagoub, qui a fédéré les populations des plaines d’Annaba et de l’Edough, réussissant à mettre sur pied une armée de 600 cavaliers, appuyé par son bras droit qui était sa fille Rym, menant des batailles contre l’armée d’occupation.
H’ssen Derdour (1911-19997) l’auteur de ‘Annaba 2 000 ans d’histoire’, en est l’un des meilleurs ambassadeurs. C’est une grande figure du mouvement intellectuel, artistique et culturel de l’antique Hippone. Il a aussi rédigé ‘Annaba, 25 siècles de vie quotidienne et de lutte’ en 2 tomes, un appendice sur l’histoire générale du Grand Maghreb publié par la SNED en 1982. Tour à tour historien, écrivain et musicien ce fut aussi un spécialiste du malouf. M.F.A. Benyagoub, nous apprend que Hamdi Benani, l’ange blanc au violon blanc, a fait ses débuts au malouf chez son oncle, le moudjahid El Hadi Benyagoub à la Caroube sur la cote bônoise où ce dernier lui enseigna la pratique du violon. C’est cet oncle qui organisa le nouvel hôpital de Annaba lors de sa création et ceci à titre bénévole. Il fut un des organisateurs des bases arrières de santé en Tunisie lors de la guerre de libération nationale.
Activités annexes associatives. En passionné de jeu d’échecs, il fut champion universitaire en 1986. Il a aussi été en 1989, membre fondateur de l’association des enfants orphelins d’Héliopolis avec la mise en place d’une équipe médicale, puis il activa dans l’association SOS Cancer et malades en détresse de Guelma.
Activités professionnelles. Alors qu’il débutait sa carrière professionnelle comme enseignant à l’école para médicale de Guelma, il est membre fondateur du bureau de Guelma de l’UMA en 1987, au sein duquel il participa à la mise en place de la gestion syndicale des problèmes des secteurs publics et privés rencontrés par ses consoeurs et confrèresPuis il a été affecté en 1988 à la pharmacie publique du centre ville de Guelma, où il sera remarqué par son directeur régional de Annaba qui lui proposa rapidement le poste d’inspecteur régional des pharmacies étatiques des cinq wilayas attachées (Annaba, Guelma, Soukh Ahras, Skikda et El Tarf). Son travail consistait à vérifier l’approvisionnement régulier des agences et les conformités réglementaires. Au cours de ce travail méticuleux, il avait relevé de sérieux dysfonctionnements qui pénalisaient sévèrement l’entreprise et qui furent corrigés grâce à la procédure pertinente qu’il avait élaborée. Il fut surnommé par le personnel du groupe lors de ses visites, du sympathique surnom de ‘ How ja El Asekri’ (le militaire est venu). Afin d’assurer une remise optimale des médicaments pour la population tout au long de la journée, MFA Benyagoub, avait mis en place en 1989 le travail de 3 équipes couvrant les 24 heures au centre de Annaba, rue de l’ALN. Ce modèle avait été apprécié par le DG de l’entreprise qui l’appliqua au niveau de l’agence Keddour Boumedous à Constantine. Le manager avait même ajouté lors d’une réunion régionale à l’adresse de notre pharmacien ‘monsieur Benyagoub, vous êtes un investissement pour l’entreprise’. Il finit par démissionner fin 1990 suite à un désaccord avec le directeur régional. Il ouvre alors en 1990 son officine à Guelma.
Ouverture de l’officine. Mohamed avait formé son propre personnel, et le premier de cette équipe officinale reconverti en distributeur de matériel médical, évoque son ancien patron en le présentant comme ‘mon professeur’. A ce moment les installations été aussi facilitées par les crédits accordés par l’ENCOPHARM. En 1992 il intègre l’école de santé militaire de Sidi Bel Abbes à l’issue de laquelle il sera affecté à la 4e région militaire, au niveau de la pharmacie militaire de Ouargla, puis au niveau de la direction de la santé pour l’approvisionnement de médicaments. (18 mois + 4 mois) sous les drapeaux il en gardera de bon souvenirs. MFA Benyagoub, fort de ses expériences passées dans la distribution estime que le groupement Pharma Invest est une entreprise très qualifiée et organisée avec une équipe très professionnelle. Des relations très correctes avec le groupement de pharmaciens, avaient vu le jour.
Etat des lieux, analyse de l’officine, diagnostic. Si fin 1988 un décret promulgué par le président Chadli Bendjedid a permis l’ouverture des officines sans passer par l’obligation du service civil, l’existence des agences étatiques qui fonctionnaient sans pharmaciens, fut très vite remise en cause par la profession. Ce fut un héritage post indépendance lourd pour le secteur, qui impliqua le conseil de l’ordre en 1992 et plus tard le syndicat en 1996. La vente des agences aux pharmaciens fut le premier pas réalisé il aurait pu selon Benyagoub, être suivi en saisissant la justice.
De plus, pour mieux réguler les installations conformément à la carte sanitaire pharmaceutique, Benyagoub pense que l’action aurait pu se faire au niveau du cursus universitaire qui est surtout généraliste. Ce cursus devrait être spécialisé avec un renforcement de la formation des métiers de l’industrie. Quant au chômage des jeunes pharmaciens, Benyagoub regrette l’absence de données sur le sujet où souvent ne sont prises en considération que les demandes d’installation déposées au niveau des DSP parmi lesquelles on retrouve des pharmaciens en exercice mais dans d’autres secteurs d’activité (hôpital, industrie, etc.).
Avec ce constat ajoutera MFA Benyagoub, les décisions prises sur la question des pharmaciens au chômage, se font donc sur la base de données fausses. Les distributeurs, vue l’importance de la taille du marché, le nombre de wilaya, peuvent aussi constituer une source importante de recrutement de pharmaciens qui mettront leurs compétences au service d’une répartition rationnelle des produits pharmaceutiques. Une proposition similaire est faite pour les autres secteurs d’activité comme l’industrie dont le recrutement de pharmaciens devrait suivre les chiffres d’affaires ou les gammes de produits fabriqués, et l’hôpital où le recrutement devraient suivre le nombre de lits d’hospitalisation.
Notre pharmacien nous fait une autre recommandation, celle des départs à la retraite des officinaux, lesquels sont soumis à une forte pression durant leur exercice. Leur pratique officinale présente également un caractère de pénibilité.
En 2006, lors des élections du conseil de l’ordre, MFA Benyagoub alors candidat, innovait en matière de communication. Il avait rédigé un courrier à l’ensemble des ses consoeurs et confrères où il expliquait ses motivations et sa vision du secteur pharma dans notre pays. Il y reprit les principaux points énumérés ci-dessus. Ceci avait eu un fort impact positif car il fut même élu président de la SORP de Annaba, dont relève la wilaya de Guelma. La vente des médicaments dits « caba » est un autre problème qui gangrène la profession. En plus de l’infraction aux règles commerciales et à la déontologie, la question de la commercialisation de produits non contrôlés constitue un danger pour la population.
Il ajoute que ces pratiques indécentes et inacceptables de concurrence déloyale, sont passibles de sanctions disciplinaires nonobstant des sanctions pénales encourues. Le changement du modèle économique de la profession sera pour lui une plus value et les groupements de pharmaciens peuvent en constituer un levier fédérateur. L’intégration en officine, de prestations rémunérées conformément à la nouvelle loi santé, peut également être le salut de la profession.
Activités culturelles, musique Malouf. En passionné de la musique Malouf, une musique classique algérienne héritière du style arabo andalous, il répétait sous la direction de Cheikh El Hadef EL Ouki Djamel, au niveau de la maison des jeunes de Guelma, s’initiant à la percussion (Naghrat forme de derbouka), instrument pilier de la musique arabo-andalouse et plus exactement au Malouf par le tempo donné et ceci dans une groupe de 15 à 20 musiciens au milieu desquels il chante en coeur. MFA Benyagoub nous raconte l’histoire du Malouf avec au début Ziryab et son luth, qui dût s’enfuir de Baghdad au IXe siècle suite aux jalousies qu’il avait suscitées à cause de son talent, pour Cordoue où il fonda la première école de musique andalouse. Il nous évoque aussi les différentes écoles de Tlemcen, Alger, Constantine et Annaba de malouf (Mahjouz, Aroubi, Hawzi), dont les styles sont structurés autour des noubas, des compositions de 5 mouvements avec souvent une ouverture instrumentale et des suites chantées de différents poèmes, avec un enchaînement de pièces musicales. Des voix algériennes comme Bastandji, El Fergani, Omar Cheklab, Cheikh Raymond, et bien d’autres ont émergées contribuant à la popularité du Malouf en Algérie.
MFA Benyagoub nous a emmenés pour un voyage artistique au coeur d’une musique traditionnelle algérienne populaire.