Portrait de pharmacien : Salih Malki de sétif, sa pensée, sa vision, son engagement pour la profession

Assis sur le coin du bureau de l’amphithéâtre de l’université de Constantine, face aux étudiants venus assister à l’assemblée générale, Salih écoute attentivement l’exposé de Omar Mehri délégué de promotion. La situation des études au sein du département de pharmacie de Constantine, s’était dégradée au point où une action devait être envisagée. Imperturbable, et fort de sa stature qui impose naturellement le respect, le jeune Salih était prédisposé à mener les débats dans la sérénité. Il parvenait admirablement à alterner les prises de parole des étudiants avec celle du délégué Omar qui, tout en formulant des propositions, répondait aux questions de ses camarades. Salih, savait sortir en toute humilité de sa discrétion, pour se positionner ouvertement et servir l’intérêt général, dans un parfait équilibre de justice et de vérité.

C’est en 1995 que Omar Mehri me présenta son camarade de promotion de Constantine, installé à Sétif, nous avions entre 25 et 27 ans. Les liens d’amitié qui s’étaient tissés durant la période universitaire entre ces jeunes pharmaciens, se renforçaient autour de relations de respect et de fraternité, celles qui s’inscrivent dans le temps et qui n’ont pas varié d’un iota plus de trente ans après. C’était le moment où étaient en cours des discussions pour la constitution du syndicat des officinaux. L’engagement pour la défense des intérêts de la profession prenait forme, aux côtés des aînés comme le regretté Si Abderrahim Zemmouchi, ou encore S’Oad Hamrour, Rezkallah Hakima et bien d’autres.
Salih, le père de famille
Salih Malki faisait preuve d’une sagesse profonde sur l’éducation et les valeurs à transmettre aux enfants. Il adoptait le principe qu’il fallait enseigner aux enfants à être heureux en développant chez eux un sentiment de bien-être et de satisfaction intérieure, plutôt qu’à poursuivre les richesses, car le bonheur ne réside pas dans l’accumulation de richesses, mais dans les expériences et les relations qui permettent d’apprécier la vie. Ainsi accompagné, l’enfant grandira en apprenant à reconnaitre la valeur des choses, la qualité des relations humaines, l’importance du respect des personnes, plutôt que de se concentrer uniquement sur le prix des choses. Là sont toute la beauté et l’authenticité de la personne. Tout au long de son éducation, l’enfant sera invité à cultiver l’épanouissement personnel, la générosité et une compréhension plus profonde du monde au-delà de la simple matérialité, développant ainsi son sens critique. Salih donne ainsi à l’éducation une valeur humaniste formant des individus épanouis et responsables.
Salih, les profondeurs de sa pensée
Il arrivait à Salih d’inviter ses amis à la réflexion sur la nature de la richesse et du savoir et sur la manière dont nous choisissons de les utiliser. Deux concepts opposés : l’un plus on le dépense moins il en reste, et l’autre en forme de source intarissable qui se multiplie lorsqu’on l’offre, menant au partage des connaissances comme forme de richesse. Dans sa pudeur, il préférait les pages des livres, qui forment des territoires infinis, aux regards biaisés que l’on jette sur la vie des autres, ne s’égarant jamais dans le jugement d’autrui, prônant la recherche de la vérité plutôt que la course vers le bien-être purement matériel.

Parcours professionnel
Le diplôme en poche en 1989, Salih en pharmacien consciencieux, fait le choix d’exercer dans le secteur public, fort de ses acquis académiques, rempli de ces rêves qui nous donnent des ailes pour servir les plus fragiles. Il sera affecté à l’hôpital de Ain Oulmene comme pharmacien hospitalier. Il était mû par sa vocation d’être au service de la santé publique et de la recherche dans une vision de développement. Fayçal Abed, son inséparable compagnon avait, quant à lui, opté pour l’officine. C’est ensemble qu’ils rejoignent l’Union Médicale Algérienne (UMA), où ils furent élus au bureau local. L’organisation professionnelle, la seule qui existait à cette époque, avait pour vocation la défense des intérêts des professions médicales. Ils sont entrés ensemble à l’UMA et en sont sortis ensemble en 1993. Ensemble, en compagnie du professeur Rachid Malek médecin interniste au CHU, ils participeront à la création de l’association d’aide aux diabétiques de la wilaya. Pour rappel, c’est le professeur Rachid Malek et le Docteur Hassen Mallem, diabétologue et pionnier de la thématique, qui ont très largement contribué, dans notre pays, à l’éducation thérapeutique des patients diabétiques en période de ramadan. L’association locale vit le jour avec l’élection de Rachid Malek comme président. Les premiers pas portèrent sur des campagnes de dépistage du diabète auprès de la population, réussissant le défi de procéder de la manière la plus professionnelle qui soit. C’est sur l’insistance de ses camarades, alors qu’il ne trouvait pas l’épanouissement qu’il recherchait au niveau du secteur public, que Salih finit par quitter l’hôpital pour ouvrir son officine à Sétif en 1992.
Le secteur libéral lui ouvre une porte, lui faisant disposer d’une grande latitude pour mettre en application sa vision de la pratique pharmaceutique au service de la santé des patients. Très consciencieux, il respectera à la lettre les principes éthiques de la profession, à l’affût des dernières recommandations de santé pour offrir à ses patients les meilleures pratiques. « L’antibiotique, ce n’est pas automatique », c’est ce qu’on pouvait lire sur la vitrine de sa pharmacie. Dans une extraordinaire clairvoyance, il n’hésitait pas à contrecarrer les réflexes néfastes qui s’installaient au sein de la profession, dans un formidable effort pédagogique vers la population. La résistance aux antimicrobiens (RAM) s’est effectivement transformée en réel problème de santé publique, provoquant des pertes humaines pourtant évitables. Salih voulait apporter sa contribution pour enrayer le phénomène.

La lutte contre l’automédication n’est pas en marge de ses actions. Paradoxalement, pour une profession dont les revenus sont indexés sur des volumes de vente, un modèle économique hautement inflationniste, il marchera à contre-courant et s’opposera systématiquement, par son sens des responsabilités, aux déviations professionnelles qui gangrènent de plus en plus la pharmacie algérienne. Il poursuit, imperturbable, ses actions pédagogiques avec ses patients et autour de lui, malgré le prix à payer, même si le modèle économique de la pharmacie ne s’y prête pas. En parallèle, dès le début, au sein de l’Association des Pharmaciens de l’Est (APE), Salih Malki et son inséparable compagnon échangeaient régulièrement avec Omar Mehri, leur camarade de promotion au moment où avait germé l’idée de la nécessaire constitution du futur syndicat. Salih Malki avait accompagné son frère de Batna lors de différents déplacements, assistant à quelques réunions préparatoires dès 1995.
Puis, lors de l’AG constitutive du SNAPO en 1996, les procurations des pharmaciens de Sétif avaient été présentées par le groupe de leurs aînés dont Nabil Trabelsi et feu Abdelkader Touati. C’est ainsi qu’avant le congrès de 2000, Salih et ses camarades mettent en place le BW de Sétif, avec l’élection de Fayçal Abed comme président, dont la pharmacie en fut le siège. Le regretté Kamel Touaouza exposait sa perplexité car ne comprenant pas comment Salih et Fayçal étaient amis alors qu’ils avaient des personnalités diamétralement opposées. La réponse fut en réalité très simple : il s’agissait d’une amitié construite sur la sincérité et le respect, avec des affinités naturelles, qui reposaient sur le socle solide de la fraternité. A l’occasion de la tenue des assises nationales de la santé, il relance auprès des consoeurs et confrères, les enjeux de l’élargissement de la pratique pharmaceutique. Il documente cette approche avec la classification OMS des activités de la pratique, rappelant les grands domaines qui sont : garantir une thérapie et des résultats appropriés, dispenser des médicaments et des dispositifs, promouvoir la santé et prévenir les maladies, gérer les systèmes de santé.
Lors du symposium d’El Kala en mars 2014, Salih Malki fut très engagé dans l’atelier du Développement Professionnel Continu (DPC), animé par Souad Naimi, appuyant la nécessité de l’actualisation des connaissances tout au long de notre exercice. La problématique fut que la nécessité du passage aux soins pharmaceutiques devrait stimuler la volonté des pouvoirs publics et des autorités compétentes à tracer une politique sanitaire qui visera la réforme progressive de la pratique pharmaceutique. Durant cet atelier qui avait été précédé d’une rencontre préparatoire virtuelle, Salih Malki faisait preuve d’une prise de conscience et se projetait sur l’avenir pour sortir l’officine sclérosée dans des pratiques archaïques. Pour lui, il nous fallait répondre aux exigences de l’évolution du métier du pharmacien sur la base des recommandations internationales et de l’évolution des maladies dans notre pays, n’hésitant pas à révolutionner le secteur avec des idées novatrices. Lors de mes nombreux échanges avec Salih, la personnalité d’un homme d’une grande probité m’est apparue, renforçant la qualité de la relation et aussi celle d’un visionnaire pour le développement de la pratique officinale algérienne au service du citoyen.

C’est un idéaliste averti, qui savait analyser les situations professionnelles. Au sein de ses consoeurs et confrères, sa clairvoyance qui lui donnait souvent raison, s’exprimait dans la sérénité. Il était écouté et apprécié non seulement par ses collègues, mais aussi et surtout par ses patients qui trouvaient chez lui les mots qui accompagnaient le soulagement de leurs souffrances.
Une formidable équipe vit le jour au service de la profession. En infatigable militant, il fut de la partie pour sillonner les nombreuses wilayas du pays, à la rencontre des officinaux chez qui il laissera à chaque fois l’empreinte d’un Homme droit, intelligent, sincère et conscient de la nécessité de fédérer les pharmaciens autour du projet commun. Chaque wilaya traversée, agrandissait le cercle des pharmaciens qui lui marquaient le plus grand respect. Il y consacrera le tiers de sa vie : peu de personnes peuvent se targuer d’un tel parcours exceptionnel au service de la pharmacie algérienne. Il nous quittera en cette fin juillet 2020, marquant à jamais l’histoire du syndicat, avec cette encre qui permettra à tous, et notamment aux générations futures, de se souvenir qu’il fut des hommes qui ont beaucoup sacrifié de leur vie pour la valorisation de la profession de pharmacien, elle qui est de plus en plus malmenée. Un court et modeste témoignage qui reste insuffisant pour décrire son long et prestigieux parcours ou pour citer les innombrables témoignages de pharmaciens qui ont croisé un jour sa route.
Comme cela avait été dit pour le regretté Nelson Mandela : qui prendra la relève ?