Portrait de pharmacienne, Nadia Gadouri Slimani : un bûcheuse inébranlable !

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Portrait de pharmacienne, Nadia Gadouri Slimani : un bûcheuse inébranlable !

Portrait de pharmacienne Nadia Gadouri Slimani de Batna une bûcheuse inébranlable !
Par Abdellatif Keddad in Le Bulletin du Pharmacien Nov 2025
PharmaInvest spa groupement de pharmaciens.

Lorsque nous sommes animés d’une volonté tenace, les plus grands obstacles peuvent être surmontés. C’est le credo de notre pharmacienne du mois Nadia Gadouri Selmani qui a exercé de nombreuses années à Batna. L’origine de cette volonté côtoiera sans doute le sentiment national qui était encore assez présent au sein de la population au lendemain de l’indépendance de notre pays. Nadia avait rejoint les Scouts Musulmans Algériens – SMA, où elle a été le porte-drapeau, une fonction qu’elle assumait avec honneur et dont elle se souvient avec émotion. Souvent en tête de défilé, arborant les couleurs nationales, cela lui donnait des ailes qui l’élevaient vers les cieux de la fierté. Elle nous confiera que ces moments avaient cultivé en elle, la volonté de réussir dans la vie et d’atteindre ses objectifs. Les SMA lui fournirent un précieux encadrement et lui enseignèrent les valeurs humaines et l’amour du pays.

Historiquement, les SMA jouèrent un rôle important dans la mobilisation de la population au cours de la guerre de libération nationale. Durant son enfance, alors qu’elle avait 6 ans, des militaires français avaient fait irruption dans la maison familiale à Batna, emmenant de force son père Ahmed Gadouri vers une destination inconnue. Sa famille resta sans nouvelle durant plus d’une année. Au cours de cette période, un drapeau blanc avait été placé par les militaires sur la porte du domicile signalant ainsi un espace suspect sous surveillance, et une fouille systématique du cartable de notre jeune Nadia était opérée toutes les fois où elle devait se rendre à l’école. Ahmed Gadouri fut ensuite interné dans la Ferme Rouge, un macabre lieu de torture à Batna, et c’est grâce à Martine, une voisine française qui avait obtenu les autorisations, que la famille avait pu lui rendre visite. Il fut libéré au bout de deux années, le corps marqué par les traces de tortures qu’il a subies, avec interdiction de rester à Batna.

Comme de nombreux combattants fiers de n’avoir fait que leur devoir pour servir leur pays, il n’en a jamais réclamé le moindre avantage une fois l’indépendance acquise. Ahmed Gadouri nous quittera en 1992. Plus tard, l’historien Abdelhamid Merarda qui écrit sur les fidayins des Aurès évoquera le parcours de Ahmed Gadouri et de ses compagnons Bennedjai Elhachemi et Berguia Moustapha. Nadia poursuivra sa scolarité dans le secondaire et en 1969, elle obtient son bac après un cursus au sein du Lycée Benboulaid de Batna à côté de ses camarades de promotion Ali Guettafi, Abdelhamid Benamghar, et ses aînés Abdallah Serrar, Nadia Bentounsi et Youcef Bouabdallah ces deux derniers nous ayant quittés. Ils devinrent plus tard ses collègues pharmaciens d’officine à Batna. Qualifiée de bûcheuse inébranlable, elle a été la seule fille à avoir obtenu le diplôme à la première session. Fait surprenant pour une filière universitaire scientifique, le bac obtenu est de la série lettres comme d’ailleurs sa défunte amie Nadia Bentousi, ce qui n’a pas empêché Nadia Gadouri de terminer son cursus universitaire parmi les meilleurs étudiants. Ses souvenirs de lycée la portent vers ses enseignants avec de nombreux coopérants dont elle garde l’image de personnes à la fois rigoureuses et dévouées comme le prof de latin.

La fac de pharmacie … avec un bac lettres

Au lendemain de l’obtention de son bac, Nadia est recrutée pour enseigner les langues au Lycée Abbes Laghrour de Batna. Cette expérience durera une année, puis elle se rend à l’université d’Alger pour suivre, dans un premier temps, la filière anglais au niveau de l’Ecole Normale Supérieure de Kouba. Un de ses camarades, qui connaissait l’excellent niveau de Nadia, lui propose alors de se réorienter vers la Fac de Pharmacie, l’accès étant à sa portée. Elle y rencontrera alors Nadia Bentounsi qui était en 2e année et qui lui confirma toutes les chances de réussite qu’avait sa camarade malgré son bac lettres. Nadia intègre alors une promotion d’une centaine d’étudiants, dont de nombreux frères et soeurs tunisiens. Nadia se souvient du professeur Salhi, la référence en matière de chimie analytique, et du professeur Ali Gherib. Bien qu’ayant un bac littéraire, Nadia n’a pas rencontré de difficulté dans les différents cours de chimie et cela grâce à sa force de caractère qui faisait d’elle une bûcheuse invétérée, cette tendance à travailler dur était sa seconde nature.

Cette âme littéraire plongée dans le monde des molécules, avait fait de l’acharnement sa boussole, armée de sa volonté de réussir quels qu’en soient les obstacles. De plus, elle s’abreuvait toutes les nuits de divers exercices chez sa tante qui l’hébergeait. Ses seules difficultés se situaient au niveau des mathématiques et de la physique, avec des cours qui n’ont jamais fait partie du cursus des littéraires et qu’elle découvrait pour la première fois. Cependant elle sut en surmonter les difficultés et put ainsi réussir les années du cursus en bonne position. Pour l’anecdote, une de ses camarades de promotion, animée d’intentions peu charitables, huait : Nadia tu n’y arriveras pas !’. Paradoxalement, ces sombres prophéties eurent pour effet de stimuler davantage la volonté de réussite de notre jeune étudiante provinciale, qui releva le défi haut la main. Des années plus tard, elle fut sollicitée par un journaliste qui souhaitait savoir ce qu’était devenue la porte-drapeau des Scouts, afin d’en faire un portrait et retracer son parcours aux côtés d’autres femmes qui avaient participé au mouvement de libération nationale, chacune à son niveau.

Arrivée en dernière année d’internat, étant classée parmi les premières, elle eut le loisir de choisir l’hôpital de son choix. Le diplôme en poche en janvier 1975, Nadia se retrouve pharmacienne chef de service au labo du CHU de Batna ayant sous sa responsabilité des Russes, des Polonais, un laborantin égyptien et un compatriote, tous membres du personnel affectés aux paillasses. C’est là qu’elle reverra son collègue Abdallah Serrar venu faire son service civil. En parallèle, elle eut également la mission d’enseignement de pharmacologie au profit des infirmiers de l’Ecole Para Médicale de Batna. A la fin de 1975, elle épouse son camarade Nabil Selmani, alors sous les drapeaux. Elle le rejoindra l’année suivante en 2016, à Constantine où elle sera affectée au laboratoire de biochimie tandis que lui, était au centre de transfusion. Ils rentreront ensemble à Batna en 1980 où Nabil occupera la fonction de pharmacien chef au CHU jusqu’en 1987 et Nadia, celle de cheffe de service jusqu’à son installation.

A l’ouverture de l’officine le 1er juin 1982, il y avait moins de 10 pharmacies qui étaient pour l’histoire : Kamel Mostefai, Ali Mokrane, Abdallah Serrar, Zineb Zeghiche, Ali Guettafi, Nadia Bentounsi, Abdallah Bendjebbar, Ahmed Zerdoumi. Nadia y développera la pratique des analyses médicales et toute la gamme des préparations très demandées. Elle sera très attachée à la qualité de la prise en charge des patients. Le comptoir a été pour elle le coeur du service aux malades, l’espace privilégié d’accueil pour le soulagement de leurs souffrances. Elle avait pour voisins immédiats les docteurs Belgacem Hamdiken et Chergui, dont les ordonnances sobres et mesurées ne dépassaient jamais les 3 ou 4 médicaments. Ces médecins soignaient sans bruit mais avec efficacité, éliminant les maux grâce à la précision de leurs diagnostics. A l’appel du Chahid Mostapha Benboulaid, Si Belgacem Hamdiken soignait clandestinement les moudjahidines. En témoignage de sa bravoure, son nom a été donné à une artère de la ville, au Centre Anti Cancéreux de Batna et à un amphi de la fac de médecine. Les séminaires étaient l’occasion de réunir l’ensemble des professions de santé, prescripteurs et dispensateurs, peu nombreux certes, qui formaient une communauté respectée.

Nadia se souvient de la première réactivation du conseil de l’ordre au cours des années 90, qui avait vu l’élection de Nabil Selmani, installé en 1987 route de Biskra, et de Ahmed Zerdoumi. Nadia et Nabil partageront leur vie jusqu’à la disparition de ce dernier en 2018, emporté par la maladie. Un bon pharmacien est un bon cuisinier, c’est ce qui fait de Nadia Gadouri une artiste en matière de confection de plats de toutes sortes et de gâteaux. Avec les touches culinaires de l’Est du pays, le palais de Nabil en obtenait la plus grande satisfaction. Nadia ne s’est pas contentée de servir les patients du mieux qu’elle pouvait grâce aux savoirs qu’elle avait acquis et entretenus. Elle s’est également investie dans des actions humanitaires, une seconde vocation entre les remèdes et la compassion, en tant que bénévole de plusieurs associations pour accompagner les malades touchés par le cancer ou pour apporter de la lumière aux enfants privés de famille. Pour Nadia, la médecine est malade comme la pharmacie. Les causes de la dégradation de la profession, viennent du laisser-aller généralisé.

Il y a d’un côté des intervenants dont une bonne partie fait preuve de légèreté vis-à-vis des responsabilités sanitaires et des obligations envers les malades. D’un autre côté, les contrôles de l’activité sont souvent réduits à des caisses d’enregistrement sans aucune portée. Il y a également le côté des patients, avec ceux qui s’auto-diagnostiquent et s’auto-prescrivent leurs traitements, perturbant le fonctionnement des soins. Parmi les solutions proposées, Nadia pense que la facilité de la vente des registres de commerce, met sur le marché des personnes qui manquent de maturité professionnelle, ajoutant que ces ventes sont élitistes et ségrégationnistes. Elle propose donc de mieux réguler l’accès à la profession en intervenant sur ces ventes. Elle ajoute que l’arrivée chaque année de nouvelles pharmacies sur le marché officinal, compromet les équilibres financiers de celles qui existent et qui ont déjà du mal à tenir le cap. Il apparaît urgent de revisiter la formation en réorientant vers et en développant les autres filières, avec un arrêt momentané de l’ouverture de nouvelles officines. Ainsi, on pourra obtenir un équilibre de la carte pharmaceutique nationale, qui couvrira les besoins de la population et procurera des revenus décents aux officinaux. Cette solution a aussi l’avantage de réduire le taux de chômage chez les jeunes diplômés car elle introduit la notion de numerus clausus à l’université, c’est-à-dire la formation de professionnels sur la base d’une estimation des besoins.

Dans une telle configuration, le renforcement de l’éthique, plus que nécessaire, s’en trouvera facilité. Nadia Gadouri Selmani ajoute que les groupements de pharmaciens comme PharmaInvest spa, peuvent jouer un rôle d’accompagnement important d’un côté en véhiculant des valeurs saines, d’un autre côté économique pour les pharmaciens actionnaires, en apportant un complément à la modeste retraite grâce aux dividendes issus des actions.

La relève avec la fille Selmani.

Lors de son départ en retraite, Nadia a transmis le flambeau de l’officine à sa fille Amina Selmani, non sans de sérieuses difficultés avec l’APC de Batna, qui refusait au début de lui renouveler un bail très convoité. ‘Fais le bien, il te reviendra, fais le mal, il te reviendra aussi’, le parcours sain de Nadia a sans doute joué en la faveur d’un dénouement heureux de la situation. Sa fille Amina, qui a baigné dans une ambiance pharma, a choisi la même filière que ses deux parents et a obtenu son diplôme en 2011. Elle a eu l’encadrement parfait pour poursuivre le travail réalisé par sa mère avec comme héritage les précieuses valeurs léguées par ses parents Nadia Gadouri et Nabil Selmani. Amina présente la même passion du comptoir, donnant la possibilité à sa mère, qui l’accompagne parfois dans cette mission – par nostalgie sans doute, de revoir des patients adultes qu’elle a connus enfants. En regardant sa fille, Nadia Gadouri Selmani ressent alors un sentiment de fierté, se projetant quelques années en arrière, lorsqu’elle était là, debout face à ses malades, les écoutant et répondant à leurs questions, les mêmes gestes, la même empathie.

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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