Portrait de pharmacienne actionnaire, Mahbouba Benidir ‘une détermination dans le chemin de la justice’
Par Abdellatif Keddad
In Le bulletin du Pharmacien, janvier 2023
Groupement de pharmaciens Pharma Invest spa
Mahbouba Benidir, notre pharmacienne du mois, est devenue actionnaire du groupement Pharma Invest, lors de la seconde ouverture du capital. Bien qu’ayant été déçue d’une précédente expérience avec le groupement Gphal, elle finit par reprendre espoir.
Native de Constantine d’une famille originaire de Teleghma dans la wilaya de Mila, elle est la fille de Ahmed Benidir, ami et compagnon du Cheikh Abdelhamid Benbadis le réformiste fondateur de l’Association des Oulemas. Son père, propriétaire terrien est un homme très cultivé qui participa activement dans son burnous traditionnel, au programme élaboré par le Cheikh. Ce travail, axé sur l’éducation de la population, jeunes et moins jeunes, filles et garçons, avait abouti à la mise en place de 130 Medersa à travers le pays en 20 ans, pour la formation du corps des enseignants. Il contribua à la construction de la mosquée de Téleghma ainsi que de la méderssa et raconta plus tard à ses enfants les rencontres de ses grands amis qu’étaient les Cheikhs Abdelhamid Benadis, Taleb Ibrahimi et l’ensemble des membres de l’association des Oulémas.
Ils étaient réunis par la vision commune qu’ils partageaient, celle de l’importance de fournir l’instruction aux jeunes générations, un des moyens qui leur permettrait de vaincre le joug du colonialisme. Ils sillonnaient ensemble l’Algérie en prêchant avec éloquence, en faveur de la nécessaire éducation et l’enseignement pour tous peu avant la seconde guerre mondiale et après.
Sa mère, dont le père avait refusé qu’elle intègre l’école française, suivait les cours du Cheikh avec assiduité. Grâce à cet encadrement, Mahbouba Benidir qui a suivi l’école classique et la méderssa, lisait le journal couramment vers l’âge de 11 ans, fut la première à avoir eu ‘sa sixième’ puis son bac et fut citée comme « la fille de Ahmed qui a réussi ». Très tôt sensibilisée sur la cause nationale, elle refusait durant son enfance de brandir le drapeau de l’occupant lors des visites du général de Gaule à Teleghma après le déclenchement de la guerre de libération nationale. Le souhait de Mahbouba Benidir, est de rédiger un livre sur cet impressionnant parcours et les faits qui y figurent. Elle disposait pour cela du journal de son père qui a malheureusement disparu entre des mains indélicates et ingrates. Les valeurs et capacités intellectuelles de son père plusieurs fois emprisonné, son nationalisme lui avaient tracé un chemin auprès de Farhat Abbes, devenant un fervent militant de la cause nationale.
Il a été élu conseiller municipal sous la bannière de l’UDMA et participa à de nombreuses réunions de conciliation au niveau de la zaouia lorsque des litiges survenaient entre les habitants. Il finit par prendre part à la préparation du conflit armé en décembre 1955 persuadé que c’était la seule voie qui restait après l’échec des solutions politiques pour obtenir l’indépendance de notre pays. La région de Teleghma est aussi connue pour son agriculture maraichère et la céréaliculture dont l’ail en est un produit phare, et où de grands projets se sont développés.
Ayant intégré le lycée de jeune fille de Constantine, Mahbouba Benidir y obtient son baccalauréat en 1966. Présentant un intérêt pour la santé de la population, elle intègre la faculté mixte de médecine et de pharmacie d’Alger où elle se souvient de feu les professeurs Ali Gherib et Salhi. Elle se souvient aussi avec nostalgie de ses camarades de promotion dont Barkahoum Alamir qui a été directrice du centre anti poison, de S’Oad Hamrour qui a été présidente du SNAPO et de Abdallah Serrar qui a été élu au sein du conseil régional de l’ordre.
Elle réussit le difficile concours d’internat en pharmacie et décroche son diplôme de pharmacienne en 1972. Séduite par le projet de recherche du professeur Sioudeau en biochimie médicale, elle rejoint le CHU de Constantine, et deviendra la première résidente au sein du labo du professeur. Les débuts auront été complexes pour elle, car alors qu’elle devait débuter son résidanat, le directeur voulu l’affecter au sein de la pharmacie centrale. Au cours de cette période, en sa qualité de pharmacienne chef, elle assura des missions d’enseignement au sein du département des sciences médicales.
Elle avait bataillé pour quitter la pharmacie centrale et revenir au labo de biochimie son souhait initial et quatre années plus tard malgré un parcours sans faute, des embûches placées sur son chemin et un résidanat non reconnu, la très forte personnalité de Mahbouba Benidir lui fait rédiger sa démission, malgré l’insistance du professeur Siaudeau à la faire revenir sur sa décision. Un tel départ aurait été pour lui un cinglant échec. Elle lui avait exposé à cet effet, un long plaidoyer justificatif, qui était sans appel. Dans ces circonstances, elle dépose également une demande d’installation à titre libéral auprès du ministère de la santé et rédige une demande de congé au directeur du CHU.
Elle finit par s’installer en juillet 1977 à Zighoud Youcef dans la wilaya de Skikda, avec une mi temps au niveau de la pharmacie de l’hôpital de cette localité. Établissant rapidement un diagnostic de situation sur les lacunes, elle réorganise complètement le service qui était dans un état anarchique. Son dynamisme lui permet de contribuer à la mise en place d’une équipe locale de foot, laquelle le lui rendit bien en lui amenant les trophées gagnés lors des différents matchs pour être exposés. A ses débuts dans le secteur libéral, elle rapporte d’excellents contact avec les patients avec lesquels elle prenait le temps nécessaire pour cerner leurs préoccupations. De même avec les prescripteurs, dont la confraternelle visite de courtoisie initiale formait un premier pas important pour la qualité des relations à venir.
Son engagement dans l’humanitaire, l’amène à soutenir des organisations d’aide aux patients en fournissant notamment des médicaments ou en adhérent au financement de programmes de soutien scolaire aux jeunes démunis. Dans cette commune, elle a été présidente de la banque de sang durant plusieurs années et su mettre en place une collecte efficace auprès des donneurs grâce à une grande sensibilisation et des conférences très suivies, faisant de ce bourg, l’une des meilleures banques de sang de la région.
En 1994, après quinze années passées à Zighoud Youcef, elle postule pour un transfert vers sa ville natale à Constantine, dans une conformité réglementaire non loin du marché couvert, suscitant au passage quelques réticences administratives qui ne résistèrent pas face à sa détermination dans le chemin de la justice. Installée dans sa nouvelle adresse, elle sera élue par ses collègues au sein du conseil régional de l’ordre durant deux mandats et demi et poursuivra ses activités humanitaires au sein de l’association constantinoise Souboune El Khirate, en toute abnégation. Membre de l’association de bienfaisance Oncologica, elle sut tisser des liens avec une société européenne fabriquant les prothèses mammaires, pour la fourniture à titre gracieux de leurs produits pourtant chers, pour les patientes algériennes qui étaient dans le besoin.
Si elle est connue au sein de la profession pour son franc parlé, elle n’hésite pas à féliciter et encourager les belles initiatives qui contribuent au développement du secteur.
A la question de savoir si elle a été marquée par des figures légendaires, elle répond sans hésiter en citant les Cheikhs Abdelhamid Ibn Badis, Taleb El Ibrahimi, Ferhat Abbas ainsi que son père Ahmed Benidir, qui ont été pour elle des personnages droits et justes, aimant leur patrie. Mahbouba Benidir très tôt sensibilisée aux arts, s’est assise sur les sièges du théâtre avant les bancs de l’école. Elle a voyagé sur l’ensemble du pays avec passion et reste attachée aux nombreuses richesses du patrimoine national notamment celles du Sud de l’Algérie .