Portrait d’actionnaire, Karim Talantikit ‘Le Sud est spirituel, il enseigne le silence’

Issu d’une famille n’appartenant pas à la santé, dès son jeune âge Karim Talantikit avait noté chez les pharmaciens de son quartier à Bouzareha (Alger), une certaine distance avec les patients. Engagé dans le changement  il s’est promis de faire des études de pharmacie pour faire évoluer la pratique vers plus d’empathie et d’humanité. Ce vœu sera réalisé plus tard, au moment où il rejoint la faculté de pharmacie d’Alger, de laquelle il décrochera son diplôme en 1993.

Son père, fonctionnaire passionné de photographie qui a réalisé de nombreux portraits historiques depuis l’indépendance, a été pour lui une véritable source d’inspiration. Karim se souvient lors de son jeune âge, de la cuisine transformée par son père en chambre ‘noire’ pour développer les photos en noir et blanc.  Il lui transmettra cet art, qui amènera notre pharmacien à exposer ses œuvres  entre autre à Bejaia en 2015. La photo le conduit à la découverte du Grand Sud, région qu’il affectionnera et qui lui a permis d’enrichir ses sujets. Il ne se lasse pas de ces découvertes, comme la traversée Djanet – Tamanrasset, au point de faire du Grand Sud, un rendez-vous bisannuel. « Le sud est spirituel il enseigne le silence et le retour vers soi ». Karim Talantikit participe à des missions humanitaires avec des amis, pour acheminer dans les villages Touareg les plus reculés, des fournitures scolaires. En pharmacien botaniste averti, il a aussi été intéressé par la photographie de la faune et de la flore de cette région.

Il a grandi dans une famille de musiciens et a fini par adopter la guitare et la « derbouka » ainsi que le chant populaire haouzi. Artiste en herbe, il s’est initié à la peinture sur verre montrant ainsi l’autre face de la blouse blanche du pharmacien.

Le diplôme en poche, Karim prend le départ du service national pour 2 années, où il sera affecté dans la pharmacie d’un hôpital. Se fut une riche expérience car en jeune pharmacien, il s’est régulièrement retrouvé avec les prescripteurs spécialistes qui organisaient des briefings en fin de journée pour discuter de façon collégiale les différents dossiers patients, et prendre ainsi des décisions éclairées. Ce furent ses premières réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP), qui lui seront très utiles plus tard.

A l’issue du service national, il est le premier pharmacien à ouvrir une officine en 1998 à Tichy  (Vacaro) dans la wilaya de Bejaia au bord de la Méditerranée. Pour faire face aux contraintes financières, il exercera son activité libérale seul sans personnel pendant 2 années, construisant une relation humaine solide autant avec les patients qu’avec les prescripteurs. C’est le socle sur lequel il se base lorsqu’il recrutera et formera sa petite équipe officinale au service de la santé de la population locale. Dans son bureau, il installe une petite bibliothèque assez hétéroclite, dans laquelle les livres d’histoire côtoient ceux de la médecine. Voulant contribuer à la transmission des connaissances, il a aussi participé à une mission d’enseignement de l’équipe officinale.

La pharmacie est un espace qui accueille la plupart du temps, des personnes en souffrance, fragilisées par la maladie. Pour Karim, le personnel de la pharmacie doit en être conscient et présenter les compétences nécessaires pour recevoir ces patients. Les pharmaciens doivent aussi présenter les compétences de gestionnaires avertis. Hors actuellement, il observe que l’on assiste à la constitution de stocks de médicaments incohérents dans les pharmacies, ce qui perturbent gravement la gestion, et augmentent le stock de produit périmés. A cela s’ajoute le fait que les pharmaciens offrent des services non rémunérés, ce qui fait de la nouvelle loi santé 2018 sur les services liés à la santé, une opportunité pour la profession pour améliorer les revenus et acquérir les compétences nécessaires à la réalisation de ces services.

Karim Talantikit, trouve désolant que le pharmacien ait abandonné le préparatoire perdant au fur et à mesure d’autres rôles comme la biologie, les médicaments vétérinaires etc. Les prérogatives de l’officinal, se réduisent considérablement au profit d’une activité de plus en plus commerciale et administrative. Il observe que le pharmacien est perçu aujourd’hui comme une personne qui vend un bien (le médicament), et il s’enfonce dans ce concept par des pratiques commerciales accrues. Il propose d’identifier les services à réaliser en officine qui pourraient faire l’objet d’une rémunération. Cela contribuera à valoriser l’image du pharmacien en le faisant passer d’un simple acteur commercial à un acteur de prestataire de soins.

Karim se souvient que la pression qui était générée par les grossistes sur les pharmaciens, avait poussé ces derniers à se constituer en groupements. De part sa position de dernier maillon de la chaine de distribution du médicament, en contact direct avec les patients, le pharmacien pouvait peser sur les décisions du secteur. Malgré son droit de substitution qui est un outil puissant par définition, KT estime que le pharmacien est fragilisé car il s’est vu imposé par les distributeurs, des pratiques qui n’étaient pas en sa faveur.

Le projet des groupements portait au départ l’idée de la négociation avec les laboratoires comme cela se fait à l’étranger. Cependant, il pense qu’il est nécessaire de mettre des gardes fous autour des groupements. Son premier réflexe lorsqu’il a rejoint les groupements, fut de se documenter sur les règles de fonctionnement de l’entreprise. A chaque réunion, il emmenait systématiquement avec lui dans son cartable, le code du commerce, et argumentait ses réponses en citant les articles qu’il contenait. Se référant à ses nombreuses lectures d’ouvrages traitant du management, les groupements étant des entités économiques obéissant aux règles managériales, il s’est penché sur les lacunes d’une telle organisation et conclue qu’il est nécessaire de s’entourer de personnes ayant les compétences requises pour la gestion d’un tel projet.

La participation de Karim au sein de la société passe d’abord par sa contribution au profit de la profession. Il intègre successivement le syndicat des pharmaciens puis la section officine de la FAP où il relève une concertation intense pour la mise en place de projets. Il rejoint également, en photographe passionné, un club de randonneurs, le club des Babors, du nom de la chaine de montagne qui culmine à 2004 mètres et située à 50 km au nord de Sétif dans la partie orientale de l’Atlas Tellien formant l’essentiel de la petite Kabylie. Avec son club, ils ont fait une bonne partie de la côté Est de Béjaia et sa fameuse corniche allant jusqu’à Jijel. Ils sont partis à la découverte des parcs nationaux comme le parc national de cèdres de Thniet el Had, un massif montagneux situé à 50 km au nord de Tissemsilt avec ses sources ferrugineuses et une riche faune sauvage. Le parc de Chréa et sa cédraie propice à la découverte et aux sports de montagne a figuré dans son parcours. Il a silloné le parc national du Djurdjura avec ses forêts, ses gorges et ses gouffres, ses fameux sites comme Talaguilef et Yakouren. Plus vers le sud dans les Aures, à 60 km de Batna, leur groupe a parcouru les 18 km du Canyon du Ghoufi, qui offre à partir des balcons, des vues splendides du haut des falaises atteignant 200 mètres de hauteur.  Ces sensibilités artistiques et sportives, continuent d’accompagner Karim Talantikit dans sa mission sanitaire, au service de la santé de ses concitoyens. Cette richesse intellectuelle, lui donne une dimension humaine très perceptible lorsque l’on s’entretien avec lui. N’est-ce pas là l’humilité qui caractérise le pharmacien que rêvent d’avoir les patients ?