Portrait de pharmacien actionnaire, Rachid SADAOUI de Tizi Ouzou « La pharmacie est un domaine passionnant » par Abdellatif KEDDAD
C’est à Tizi Ouzou, la ville des genêts, que nous rencontrons Rachid Sadaoui, pharmacien installé à Azazga et nouvel actionnaire du groupe Pharma Invest. Natif de Tizi Ouzou, il y suit sa scolarité jusqu’au secondaire encadré par sa mère Louisa, une institutrice autodidacte elle même fille d’instituteur, dans une région, où, le paradoxe, l’accès à l’éducation pour les filles n’était pas dans les coutumes, tandis que ses frères avaient tous progressé jusqu’au bac. Sa mère a rythmé le parcours de ses enfants durant ces années de jeunesse avec un mot d’ordre : « Études ! Études ! Études ! » . C’est elle qui le sensibilisa à la lecture par ses précieuses orientations. Son père Mohand Ouramdane décédé en 2018, est un nationaliste qui a été membre du comité du FLN.
C’est la conjoncture de la guerre de libération nationale qui l’a rendu peu présent dans l’éducation de ses enfants du fait de son engagement dans la lutte armée au sein de la Fédération de France du FLN. Il intégra en effet, en 1956, le groupe de choc des 6 commandos qui avaient été formés au Maroc, pour exécuter des missions en faveur de la cause nationale. Plus tard, alors que l’Algérie et Cuba avaient des relations très fraternelles, les deux Etats étant engagés dans le mouvement des pays non-alignés, le leader cubain Che Guevara, qui entamait une visite officielle en Algérie, fut reçu par Mohand Ouramdane membre de la délégation.
Rachid est le cadet d’une petite famille algérienne de trois enfants dont un frère ingénieur et une soeur issue de l’université algérienne, devenue ingénieure en informatique. Après avoir décroché son doctorat en Europe, la fille de Louisa et Mohand a produit pas moins de 80 brevets en robotique qui ont été déposés au Canada. Durant sa jeunesse, Rachid fréquentait régulièrement la maison de la culture de Tizi Ouzou alors dirigée par Sid Ahmed Agoumi, qui en avait fait une référence culturelle. On y retrouvait la pratique du jeu d’échecs avec des experts, la cinémathèque avec ses débats après les projections, la peinture qui est pour Rachid comme un roman où il faut en lire le déroulé, la musique classique, etc.
La région a connu de très nombreuses célébrités qui excellaient dans l’ensemble des arts comme le poète et chanteur Ait Menguelet, l’écrivain Mouloud Mameri, le peintre Issiakhem pour n’en citer que quelques-uns. A côté des grands révolutionnaires de la région comme Krim Belkacem, le colonel Amirouche, Abane Ramdane etc., son père reste celui qui l’a le plus marqué. Il fût d’une grande discrétion pour préserver la sécurité de sa famille, et son fils Rachid n’en découvrit l’implication dans la guerre de libération que tardivement. Malgré l’absence paternelle, Rachid s’est forgé dans cet environnement et a décroché en 1983 son bac à Tizi Ouzou. Il choisit la filière pharmacie par accident, lui qui aurait souhaité intégrer l’université de Tizi Ouzou, c’est un de ses camarades qui réussit à le convaincre de s’expatrier vers Alger.
Les années d’étude à la Fac Centrale au département de pharmacie lui sont apparues passer rapidement dans les amphis Ampère, Matiben et les labo. Rachid souligne la précieuse entraide en bonne camaraderie tout au long d’un cursus difficile. Il a été marqué par les magistraux professeurs Ali Gherib, Hamiche et Hamrioui apparu comme une élite. A ce moment, chaque été, il retrouvait son père qui gérait un restaurant à Paris, pour l’assister dans cette petite entreprise. Il s’est rapidement initié à l’art de la préparation des plats cuisinés, comme tout bon pharmacien alliant avec science et finesse les composants des préparations magistrales. « Le couscous traditionnel était préparé de manière magique avec plusieurs types de viandes ». Pour Rachid, la place de l’huile d’olive dans la cuisine est incontournable, c’est elle qui donne ce goût particulier aux plats tout en offrant des vertus thérapeutiques, la touche du pharmacien y est perceptible.
Il obtiendra son diplôme de pharmacien en 1988 et fait surprenant, il rejoint le restaurant de son père pour une année. De retour en 1989, alors que le service civil venait d’être supprimé, il s’installe en libéral à Azazga, commune pour laquelle il a le coup de foudre. Ses collègues pharmaciens aînés l’avaient bien reçu et lui ont ouvert leurs officines en lui transmettant de précieux conseils pour son début d’activité. En 1992, le service national l’appelle pour la santé militaire où il sera affecté au service pharmacie à Constantine. C’est là qu’il a contribué au développement de ce service avec ses collègues, notamment dans le préparatoire. De ses premiers contacts avec ses aînés à Azazga, il gardera le souvenir de précieux moments de partage et de confraternité, ce qui fut à l’origine de sa volonté de perpétrer cette tradition durant tout son exercice avec ses jeunes collègues. Des réunions régulières étaient initiées chaque six mois entre collègues pour éclairer un point précis de la pratique pharmaceutique, dont l’harmonisation de la tarification des préparations et des produits parapharmaceutiques.
Ces réunions se sont raréfiées au fil du temps, jusqu’à finir par disparaître. Rachid Sadaoui, considère que la rémunération de l’acte pharmaceutique est une très bonne chose pour faire face aux dépassements au sein de la profession qui sont souvent en lien avec des pratiques commerciales. Il se pose néanmoins la question sur les modalités de mise en place et sur nos capacités à implémenter ce nouveau modèle économique en pharmacie. Le modèle de groupement de Pharma Invest reste pour Rachid Sadaoui, une formidable expérience, il tire son chapeau aux initiateurs du projet. Pour lui, » C’est un groupement qui ira loin « . Au cours de cette expérience, il souligne que dans sa région, les officinaux se respectent mutuellement autant qu’ils respectent le tableau de garde et le cadre de l’exercice.
Il peut arriver que des dépassements soient constatés et qu’il appartient alors au conseil de l’ordre de rappeler les règles déontologiques. Les officinaux, ont toujours contribué à l’accès aux médicaments de leurs patients, notamment en supportant une importante ardoise de crédit. Ils sont confrontés à la problématique sociale des patients assurés sociaux qui n’ont pas toujours les moyens de payer sur place le tarif de référence et qui demandent à leur pharmacien de garder la carte chifa jusqu’au paiement. Bien qu’il ne connaissait pas la région, il fut également bien accueilli par la population. Préoccupé par la nécessité de la mise à disposition pour les patients des médicaments dans un contexte de rupture, il s’attacha à la prospection et à la recherche des produits pour pallier le problème au prix de nombreux déplacements.
Il a beaucoup encadré les étudiants en pharmacie qui appréciaient les savoirs qu’il leur transmettait, ce qui lui donnait l’occasion d’entretenir et de perfectionner ses connaissances. Au cours de ses 30 années de carrière, il a vu grandir ses jeunes patients, dont certains sont devenus pharmaciens. Il considère que la pharmacie a fait un pas de géant et le tiers payant y a contribué. Dans cette lancée, il a rejoint l’association de la pharmacie oncologique française pour développer ses compétences, soucieux de développer la prise en charge en officine des patients cancéreux face à la surcharge des structures hospitalières. Père de deux enfants, il aurait aimé que l’un d’eux opte pour la filière qui le passionnait, leur destin s’est orienté vers l’informatique.
Sa passion pour l’histoire de l’Algérie tient sa source du parcours révolutionnaire de son père. Rachid l’accompagna en 1986 à un colloque sur l’écriture de l’histoire au Palais des Congrès du Club des Pins à Alger et Mohand Ouramdane fut reçu par Abdelhamid Mehri (1926-2012), alors secrétaire général du FLN. Quel bonheur ce fut pour notre jeune pharmacien, de voir son père reçu avec les honneurs par les personnalités du pays. Il fut décerné à ce combattant de la lutte de libération nationale, qui participa à la mise en place de la Fédération de France du FLN avec le second front (1958), la médaille de bravoure, une reconnaissance nationale pour ses faits d’arme et ses actes de courage contre l’occupant.
A partir de ce moment, Rachid, notre pharmacien, s’est mis à constituer un fonds documentaire sur l’histoire de la guerre d’Algérie. Fort de ces précieuses archives, R. Sadaoui s’était lancé dans le projet de la rédaction d’un livre sur la Fédération de France du FLN, à travers les mémoires de son père, coécrit avec Merrahi, qu’ils viennent de terminer et dont la publication devrait suivre. Il ne compte pas s’arrêter là, car il lance un second chantier littéraire, celui de l’histoire de la fondation de la ville de Tizi Ouzou. Membre de l’association des parents d’élèves du lycée, Rachid Sadaoui lance en 2010 avec un groupe d’élèves, dont son fils, la réalisation d’un documentaire sur la Casbah d’Alger qui fut présenté au bureau de l’UNESCO à Genève.
Originaire du village de Beni Mendes (Ait Mendes) dans la daira de Boghni, réputé pour ses fromages, toute la famille Sadaoui s’y rendait régulièrement dans la maison des grands parents et tous participaient aux activités agricoles. C’est là que Rachid s’initia aux rudiments de l’élevage et aux diverses cultures qui rendaient sa grand-mère autonome. Le soir, c’était l’escalade vers la station Talaguilef dans le parc national du Djurdjura, et Rachid Sadaoui note avec beaucoup de regrets, la disparition malheureuse des remontées mécaniques, elles qui avaient fait les beaux jours de cette formidable station de ski. Rachid, pratiqua aussi le volley-ball durant sa jeunesse avec un entraîneur cubain, et fut remarqué pour ses performances sportives, ce qui l’a conduit à être sélectionné pour l’équipe nationale des cadets.
La pratique du sport a sans doute façonné dans sa personnalité, le sens de la persévérance, du travail en équipe et sa motivation.