Portrait de pharmacien, Ahcene Mechiche président de la SORP de Tizi Ouzou : Une culture qui forge une personnalité sereine. 1ère partie

C’est à l’école de son village de Taguemout Oukerrouche, fondée à la fin du XIXe, l’établissement que fréquenta son grand-père, que Ahcene Mechiche entame sa scolarité en 1970. Un parcours tout à fait ordinaire pour un enfant, qui évolue au milieu des richesses de la vie dans un modeste village rural. Il poursuivra au collège de Beni Douala, lequel, bien que situé à 7 km de son village, y sera en qualité d’interne selon la volonté paternelle qui avait la clairvoyance de trouver un environnement favorable pour y semer les prémices du sens des responsabilités. Ce sera une épreuve difficile pour ce jeune enfant de 11 ans, sorti tôt de la cellule familiale.
Dans ses souvenirs, se dessine une période marquée par le respect manifesté à l’égard du corps enseignant et administratif, sur les fondements de valeurs profondes et intemporelles. Il se souvient parfaitement du directeur de l’établissement, M. Meknache, dont l’autorité émanait de la noble vocation de l’éducateur en parfaite connaissance de son rôle de transmission des savoirs pour construire une société en devenir. Quelques décennies plus tard, il lui arrive de recevoir ses anciens maîtres au sein de son officine, et sur leurs visages on peut lire la quiétude de ceux qui savent avoir accompli leur mission. La famille, la sensibilité littéraireSon défunt père était fonctionnaire à la mairie de Beni Douala. Il fut un acteur engagé au sein de la Fédération de France, la branche du FLN qui organisait la communauté algérienne en exil pour soutenir la lutte pour l’indépendance. Elle a joué un rôle clé dans la mobilisation des travailleurs immigrés, avec notamment la collecte de fonds et la communication. Dans ses fonctions au lendemain de l’indépendance, il avait pour mission l’organisation de l’Etat Civil et du secrétariat de l’APC.
Attaché aux valeurs, il suivait avec rigueur l’éducation de ses enfants, en cas de faute, le jeune Ahcene avait droit à une leçon de morale aussi énergique qu’édifiante, qui dissipait toute tentation de récidive. Quant à la mère, c’était la cheville ouvrière de la famille. Bien que privée de la connaissance des lettres, elle veillait avec une vigilance maternelle, à ce que les devoirs de ses enfants s’accomplissent, scrutant les cahiers avec l’intuition d’une mère qui supplée à l’érudition. Ahcène est l’aîné d’une fratrie de 9 enfants, un statut qui lui a valu d’hériter d’une lourde charge, celle de la responsabilité. Il assumera ses fonctions durant toute la période à ce jour, tissant des relations de respect dans l’environnement sacré de la famille qu’il s’attache à préserver, angoissé par l’idée du risque de ne pas être à la hauteur. Les faits ont montré que son rôle a été admirablement joué, appuyé par les pieuses et belles invocations que sa mère lui adresse régulièrement.
Ahcene Mechiche a côtoyé assez jeune les bibliothèques évoluant sur un horizon éclectique, plongé entre les romans, la littérature classique, l’histoire, etc. En 5e, du haut de ses 12 années, il découvre dans le rayon limité aux élèves de son âge, le livre de Fatma Ath Mansour Amrouche (la mère de Taos Amrouche), « l’histoire de ma vie ». Ce fut pour lui un bouleversant témoignage dont il en rédigea intuitivement un résumé remis au responsable de la bibliothèque. Agréablement surpris, celui-ci lui ouvrit l’accès à l’ensemble des rayons, y compris l’espace réservé aux adultes. LycéeEn septembre 80, il rejoint la filière sciences au lycée de Boukhalfa, un ancien institut islamique d’architecture arabo-musulmane car financé par l’Egypte suite à un accord entre les deux pays.
C’est là qu’il a découvert le théâtre, grâce à Bouamar, un comédien de talent qui leur organisait avec sa troupe, des représentations attendues avec impatience chaque semaine par les élèves fascinés par les mises en scène, les moments d’évasion et l’imaginaire que cela leur procurait. Il y obtiendra son bac en 1984 avec une bonne moyenne, ce qui lui avait permis d’accéder à la filière pharmacie de l’université d’Alger. Histoire de la région. Dans son village, un havre de paix situé à 700 mètres d’altitude, où il fait bon vivre au milieu de la simplicité de ses habitants, Ahcene Mechiche en a hérité de toute la modestie. Le rythme de vie suit celui des saisons et du travail de la terre, avec des cultures en terrasse dans cette région montagneuse, produisant l’essentiel et non le superflu, fidèlement aux méthodes ancestrales avec un équilibre sain. Un contraste saisissant avec la modernité et ses violences, où le monde rural relié au monde extérieur par les postes radio TSF, coulait dans la dignité, des moments de sérénité malgré la pauvreté et les difficultés de la vie. Ahcène nous rapporte que dans ces villages, la musique, bien ancrée dans les traditions, était écoutée dans une pudeur délicate, en dehors de la mixité.
Le chant kabyle se pratiquait entre femmes dans une grande solidarité notamment lors des différentes cueillettes sur les parcelles d’oliviers et autres arbres fruitiers. Les terrains sont protégés par des clôtures naturelles de genêts (Ouzou à l’origine du nom de la wilaya), une plante à alcaloïdes dont la spartéine aux propriétés anti-arythmiques, qui exhibe ses fleurs d’un jaune d’or lumineux durant le printemps et au début de l’été. Les habitants ont aussi produit avec beaucoup de finesse, des bijoux élégants faits d’argent, ornés de coraux et d’émaux, dont la renommée des fibules (tabzimt), diadème (ta’essabt), bracelets (ikhelkhal), boucles d’oreilles (thimengouchines) etc., a dépassé les frontières. La tradition de la poterie qui est quelque part’ consubstantielle’ aux régions rurales, offre un support d’expression par les motifs berbères représentés.
C’est ce terreau qui a permis à Mouloud Feraoun, l’écrivain, de nous offrir une prodigieuse littérature dont Le fils du pauvre, un roman autobiographique où sont admirablement décrits et avec une forte intensité, son enfance et son adolescence. C’est l’un des nombreux auteurs, dans ce vaste répertoire culturel, qui ont accompagné la jeunesse de Ahcene Mechiche qui n’a pas cessé ses découvertes littéraires éclectiques ou ses relectures, à notre époque pourtant dominée par l’internet. La discussion avec Ahcène nous mène dans le riche vivier de la chanson de sa région avec le populaire Hadj Boudjemaa El Ankis d’Azeffoun et M’Hamed el Anka, les maîtres de la chanson Chaâbi, ou encore pour la chanson kabyle l’auteur-compositeur Slimane Azem qui a fait de nombreux émules comme Ait Menguelet, Idir et bien d’autres.
La maison de la culture de Tizi Ouzou est très active et Ahcene nous cite à titre d’exemple, le programme portant sur le patrimoine culturel kabyle, mais aussi le patrimoine culturel national. En effet, chaque année est organisé un festival national des arts traditionnels en ce lieu de rayonnement, qui connaît un engouement croissant au fil du temps. Son riche témoignage est plein de sensibilité, notamment lorsqu’il évoque les nombreux chouhada de la Zone 3, où pas une famille de la commune de Beni Douala ne compte en son sein un de ces glorieux martyrs. Ils avaient en quelque sorte suivi les pas des bandits d’honneur apparus plus tôt en réaction à la politique coloniale répressive et spoliatrice, comme Ahmed Oumeri dans les années 1945 dont l’un des compagnons, Oudar Ali de la famille de notre pharmacien, fut guillotiné par l’occupant.
L’université
C’est sans doute au sein de la famille nucléaire, avec son oncle médecin, qu’il s’est inspiré pour le choix de la filière pharmacie, un choix aussi appuyé par ses nombreuses et riches lectures. Un choix qui s’est dessiné assez tôt. Après l’étape du tronc commun à Bab Ezzouar, il rejoint la fac centrale de laquelle il garde des souvenirs contrastés, tissés de la joie fraternelle avec ses camarades de promo et d’épreuves très difficiles. Il nous relate un parcours où la rigueur implacable des études, en a découragé plus d’un. En fin de cursus, il suivra son internat au CHU de Beni Messous au sein de l’équipe de l’admirable professeur Ghafour, qui alliait la rigueur du travail et l’empathie avec ses étudiants.
Il obtient son diplôme de pharmacien en 1991 et succède à un de ses collègues officinal dans le village deTirmitine le 12 octobre de la même année. Il devient donc officinal à 28 ans malgré un modeste budget.