Portrait de pharmacien : Amine BEGHDADI de Ain Témouchent «Pour une rémunération des actes du pharmacien au service de la santé »
C’est à Ain Temouchent que nous emmène Amine Beghdadi, notre pharmacien du mois, natif de Ain Sefra, qui grandira à Oran. Il suit un parcours scolaire sans particularité qui débute à Ain Témouchent, passe par Tighenif (Mascara) et Oran, avant de revenir à Ain Temouchent où il obtiendra son bac en 1985. Son souhait universitaire du moment était porté vers la médecine vétérinaire par affinité pour le monde animal. Le tronc commun biomédical se faisait avec les filières médicales, mais cette année, la médecine vétérinaire à Oran avait été suspendue.
C’est ainsi que la pharmacie, qui devenait son second choix, lui ouvrait les portes.
Oran el Bahia, la principale métropole de tout l’ouest Algérien, lui offrait des souvenirs familiaux agréables, passés dans une jeunesse insouciante sur les plages du littoral, aux nombreux paysages côtiers diversifiés. La corniche oranaise, avec ses 124 kilomètres de littoral qui s’offrent à la population, avait accueilli près de neuf millions d’estivants en 2005.
Remontant l’histoire familiale de Amine, nous nous portons à Ain Sefra (W. de Naama), une ville de l’Atlas saharien située au pied d’une dune. Son oncle, Beghdadi Boutkhil, chercheur et auteur de différents articles historiques, a produit une publication sur la torture durant la guerre d’Algérie (Sous le ciel de Ain Sefra – Ed dar El Gharb 2012). L’intention de cet auteur, était de lutter contre l’oubli et de rendre hommage aux aînés et à tous les martyrs. La parution de son ouvrage qui avait été relayée par la presse nationale, fut bien accueillie du public et des critiques.
Avec cet oncle et ses références, Amine Beghdadi nous emmène voyager à travers l’histoire de cette région, citant les grandes et nombreuses personnalités, les curiosités touristiques et les violents accrochages entre moudjahidines et armée coloniale. Ain Sefra, dont le nom provient d’une source qui sort des sables, culmine à 1073 mètres d’altitude, est située à 440 km au sud d’Oran. D’un point de vue urbanistique, son Ksar créé en 987 de l’Hégire (1586) est composé d’une agglomération d’habitations grises bâties en pierres, avec une cour intérieure et des ruelles étroites.
Amine nous fait remonter loin dans l’histoire en signalant l’existence d’une station de l’âge de pierre qui a été découverte au cours du 19e siècle avec de nombreuses pièces tranchantes en silex comme des couteaux, des pointes de flèches. Il nous parle du Dr Joseph Iliou, rebaptisé Youcef lors de sa conversion, un chercheur archéologue qui a découvert plus de 300 sites de gravures et peintures rupestres dans la région, ainsi que des gisements de vertébrés du secondaire (dinosaures, crocodiles, tortues), etc.
En 1999, des fossiles de dinosaures ont été découverts à Rouis El Djir mettant à nu plus de 300 ossements et vertèbres, notamment un petit dinosaure herbivore de 8 à 9 mètres de long de la famille des Sauropodes (période Jurassique moyen 161 à 175 millions d’années). C’est à cette occasion, que le chantier d’un musée du dinosaure avait été lancé à Naama puis inauguré récemment.
Une cinquantaine de sites funéraires, ou ardjem, ont aussi été découverts, recouvrant un espace vaguement circulaire avec une forme de cône en général. Il s’agit de tumulus ayant l’apparence de cubes de pierres de 0,5 à 0,6 mètres de hauteur et 4 à 12 mètres de diamètre, au centre desquels se trouve une sépulture. Dans l’un de ces tumulus, une chambre sépulcrale parfaitement intacte a été mise à nu avec des ossements humains, des pièces de métal, d’argent, d’os, de cuivre.
La région de Ain Sefra nous offre aussi des paysages à couper le souffle, et Amine nous en parle avec beaucoup de fascination, ajoutant la possibilité de ressourcement et la quête de spiritualité. C’est cet espace qu’a choisi Isabelle Wilhelmine Marie EBERHARDT (1877/1904), journaliste, écrivaine et exploratrice née en Suisse de parents russes. Elle avait fini par choisir l’Algérie comme patrie, en élisant domicile à Ain Sefra. Cette dame s’y promenait vêtue du burnous et coiffée d’un turban, s’exprimant en langue arabe qu’elle s’était mise à apprendre. Elle raconte sa conversion à l’Islam dans une nouvelle intitulée « Silhouette d’Afrique ». Isabelle Eberhardt est l’auteure de plusieurs études sur les moeurs, des nouvelles dont Au pays des sables, Dans l’ombre chaude de l’Islam, Rakhil.
Amine citera une autre personnalité : Khaled Benmiloud, natif de l’Oasis de Tiout près de Ain Sefra ajoutant qu’il a été le premier psychiatre de l’Algérie indépendante. Le Dr Benmiloud en a humanisé la discipline et se disait fils de paysan. Le professeur Tidjiza de l’hôpital Drid Hocine de Kouba, en parlait ainsi « du père terrible de la psychiatrie algérienne au digne représentant de l’authentique humanisme algérien ». Dans sa famille, Amine compte aussi le professeur en médecine interne Belhadj Mohamed, ancien président du comité médical national du diabète, qui participe activement à la lutte contre le diabète en Algérie. C’est un élu qui sait être à l’écoute des professionnels de la santé.
Ain Temouchent, une région agricole qui avait attiré les colons, avides de terres fertiles. Par son père, Amine Beghdadi a été imprégné de lecture avec une bibliothèque familiale riche de plus de 500 titres allant des grands classiques aux romans, passant par la littérature algérienne et ses penseurs, ses historiens. Par sa mère, il a été imprégné de musique andalouse, une musique qui lui procure des sensations fortes lui ouvrant les portes vers les musiques du monde. Dans ses loisirs, Amine Beghdadi prend plaisir à photographier les sculptures qu’il explore dans toute leur dimension, capturant à travers son objectif, les formes et textures complexes de ces oeuvres d’art. Admiratif des grands révolutionnaires, il garde dans son bureau, accrochée au mur, une photographie de Che Guevara, le leader charismatique cubain, qui visita notre pays en 1963 et en 1965.
Amine obtient son diplôme de pharmacien à Oran en 1992, et prend comme première fonction, le remplacement de l’un de ses aînés. Puis il finit par s’installer à Ain Temouchent au chef-lieu de wilaya. Les débuts étaient difficiles, car il fallait se déplacer vers les sociétés nationales de distribution/production puis vers les sociétés privées lors de la fin du monopole, pour se fournir en médicaments, parfois sur de longues distances, tout cela pour mettre à disposition des patients les thérapies nécessaires. Cette contrainte lui a permis de découvrir le pays tant dans son immensité que dans sa diversité. Sa sensibilité à la souffrance des autres, l’amène à s’investir dans l’humanitaire pour venir en aide aux plus démunis, avec des actions notamment vers Bechar où les troubles oculaires dominaient les pathologies, en y acheminant les médicaments.
Il rejoint le SNAPO au début des activités du jeune syndicat, en mettant en place le bureau de wilaya de Ain Temouchent, où il sera élu président du BW par ses collègues. Il deviendra membre du Conseil National sous le mandat de madame Hamrour S’Oad, puis membre du Bureau National sous le mandat de Fayçal Abed. Il s’est beaucoup investi dans l’organique pour la structuration des bureaux de wilaya, sillonnant une bonne partie de l’Algérie qu’il redécouvre à nouveau, cette fois à travers les riches contacts humains avec les officinaux. Amine Beghdadi a joué un grand rôle avec le comité d’organisation des journées nationales et internationales, pour la tenue de ces manifestations contribuant à asseoir la renommée du jeune syndicat. Malgré les difficultés d’organisation, le stress généré par l’événement, Amine en retirait une grande satisfaction lorsqu’il constatait l’impact fort positif auprès de ses consoeurs et confrères venus de toutes les régions du pays.
La situation actuelle de l’officine lui apparaît fort problématique du fait du tracas de la gestion des ruptures et de l’arrivée sur le marché chaque année, de nombreux nouveaux diplômés pharmaciens dont l’avenir professionnel est incertain. Amine se souvient d’une proposition raisonnable faite par le syndicat à l’époque, qui visait à instaurer un numerus clausus à l’université afin de former des pharmaciens selon les besoins du pays. Cette proposition, toujours d’actualité, n’avait malheureusement jamais abouti. Ayant un fils qui a suivi la filière, il en parle en connaissance de cause avec une certaine amertume. Il regrette la priorité donnée à la formation en nombre au détriment de la qualité. Un phénomène qui sature le secteur, créant au niveau de l’officine, une compétition commerciale impitoyable, où les règles éthiques sont malheureusement absorbées par les règles du profit, plaçant souvent de jeunes et moins jeunes confrères dans des situations financières précaires.
Pour Amine, le modèle des pays anglo-saxons, où l’acte pharmaceutique est rémunéré, peut être une solution à la sortie de crise de l’officine. Ce modèle, qui lui apparaît être une solution extraordinaire, reste pour Amine le seul espoir pour l’officine algérienne de demain, à la lumière des services liés à la santé de la loi santé 2018 et des possibilités de tarification des actes qu’elle contient. Il en prend exemple sur un de ses amis officinal en Europe, pour lequel la rémunération de la vaccination anti-covid et la réalisation des tests antigéniques ont été une véritable bouée financière.
Les groupements forment une opportunité, selon Amine, dans le sens où une relation privilégiée se crée avec les officinaux, et le statut juridique de société par actions, donne un droit de regard sur l’entreprise aux pharmaciens actionnaires. Amine est un grand voyageur. Il a visité de nombreux pays en Europe, Amérique du Nord, Amérique Centrale côtoyant de nombreuses cultures, très diverses. Ces voyages, qui lui ont apporté une ouverture d’esprit, lui ont aussi permis d’échanger avec ses collègues pharmaciens étrangers et de connaitre leurs conditions d’exercice. Ce fut pour Amine une précieuse source d’informations pour imaginer la pharmacie algérienne de demain.
Son prochain cap sera vers l’Asie et Ushuaia dans l’extrême sud de l’Argentine, pour une immersion dans cette immense contrée aux conditions climatiques extrêmes.
Dans son mot de la fin, Amine évoque une vision positive et des changements bénéfiques au sein de la profession avec la numérisation du secteur qui mettra en place le dossier du patient accompagné d’une meilleure rémunération légitime adaptée aux prérogatives de ce professionnel de santé au service de la population.