Portrait de pharmacien, Karim Kabiche président de l’ordre régional des pharmaciens: « Nous avons donné nos tripes pour la profession »
Par Abdellatif Keddad in Le Bulletin du Pharmacien
PharmaInvest, groupement de pharmaciens
C’est en grande Kabylie que nous emmène Karim Kabiche, notre pharmacien du mois, président de la Section Ordinale Régionale des Pharmaciens de Tizi Ouzou. En actionnaire de Pharma Invest spa, Karim K. qui souligne la qualité de l’équipe dirigeante de pharmaciens, estime qu’un groupement de pharmaciens comme le sien, est une des solutions pour tirer la pharmacie vers le haut car en connaissant le terrain officinal le groupement peut apporter beaucoup dans l’amélioration de l’exercice officinal.
Issu de la promotion de la fac centrale de 1989, le diplôme en poche, ému par les paysages époustouflants du grand sud, il prend la direction de Tamanrasset où était offert un poste de pharmacien hospitalier au niveau de l’hôpital de la ville. Il restera six mois au sein du service de la pharmacie centrale de cette structure dans la gestion des médicaments et dispositifs médicaux. Les circonstances l’amèneront de retour en Kabylie au sein d’une agence publique affectée à la dispensation des médicaments.
En janvier 1991 il finit par ouvrir sa propre officine à Tizi Ouzou et dès ses débuts, il s’est placé sous l’aile de son aîné le pharmacien Aiche qui n’hésitait pas à répondre aux délicates sollicitudes de son jeune confrère, lui transmettant lors de ces rencontres amicales l’amour du métier, l’esprit et l’éthique de la profession. Tout au long de son parcours professionnel, Karim Kabiche s’est inspiré de ce précieux encadrement et restera dans cette proximité.
Sa personnalité construite à partir du milieu familial et de son environnement, lui permit de marquer sa présence auprès des prescripteurs en gagnant leur confiance par le respect, la qualité de ses prestations et les compétences qu’il présentait. En 1996, lors de l’assemblée constitutive du snapo, il rejoint le syndicat sous la présidence de feu Abderrahim Zemmouchi, puis en 1998 il bénéficie de la confiance de ses confrères qui l’élisent président du conseil de l’ordre.
Cet épisode sera bref, suite au gel de l’instance ordinale, il reprendra sa casquette de syndicaliste à nouveau élu à la tête du bureau de Tizi Ouzou puis intègrera le Bureau National en 2009, lors du congrès de Tipaza. Il parlera alors de belles années passées au service de la profession dans une ambiance de respect et de camaraderie en des termes assez expressifs : « nous avons donné nos tripes pour la profession ». Après cette période, Karim Kabiche, sensible aux déviations qui ont touché la profession, pressent qu’il peut contribuer à faire évoluer les bonnes pratiques professionnelles, quitte le syndicat et se représente aux élections de l’ordre.
Elu président de la région qui regroupe les wilayas de Tizi Ouzou, Bejaia, Boumerdes et Bouira avec plus de 1.500 pharmaciens inscrits, il partage sa grande satisfaction à œuvrer en harmonie avec une équipe qu’il qualifie de formidable, sérieuse et engagée où chaque président de commission dirige ses travaux avec compétences et responsabilité. Il ajoute avoir la chance d’avoir un secrétaire général très dynamique à la hauteur de ses missions. Il en veut pour preuve également, la mémorable journée organisée par la SORP de Tizi Ouzou qui fut un véritable succès et qui a drainé près de 800 pharmaciens toutes catégories confondues.
Reconnaissant certes qu’il n’y a pas d’actions parfaites, il souligne qu’avec son équipe ils ont relevé le challenge du respect des bonnes pratiques et veillent à leur maintien ajoutant que le plus gros du travail au niveau régional est absorbé par la commission exercice et qualification (CREQ). Prônant l’action pédagogique, les pharmaciens auteurs de dépassements, sont d’abord convoqués pour être auditionnés et un rappel des règles déontologiques leur est présenté et ce n’est qu’en cas de récidive que la commission discipline est activée.
Karim Kabiche nous parle de sa conception du modèle de la pharmacie idéale, celle de la proximité, celle de l’espace des services pharmaceutiques et de l’éducation thérapeutique, pouvant prétendre à une rémunération par la sécurité sociale, qui contribuera à réduire l’impact négatif du modèle économique commercial actuel d’achat et vente de médicaments. « Il nous faut fédérer les pharmaciens », nous précise-t-il, autour de ces enjeux qui apparaissent être une formidable opportunité pour valoriser ce professionnel dans son rôle d’acteur de santé publique à part entière.
Au niveau des officines, il constate une dilution du marché du fait des nouvelles installations, au point où une commune comme Tizi Ouzou présente un ratio de 1 officine pour 1900 habitants contre les 5000 prévus dans la réglementation. Actuellement, le ratio moyen serait selon ses données de 1 officine pour 3000 habitants. Il constate aussi qu’il y a une tension sur la demande des installations, avec la création des zones enclavées qui ne sont pas dénuées de risque car les jeunes titulaires ont engagé des financements importants souvent à crédit pour le lancement de leur activité qu’ils doivent rentabiliser pour pouvoir rembourser leurs dettes.
Lorsque le rendement de la zone enclavée a mal été évalué, nos jeunes confrères risquent de se retrouver en difficulté financière. Cette situation peut selon lui, constituer une brèche pour les pratiques commerciales non éthiques. Il pense que poursuivre l’ouverture des officines dans cette voie, risque de les amener en grande détresse économique avec augmentation potentielle du nombre de pratiques anti-déontologiques. Karim K. qui identifie des niches à explorer pour la résorption du nombre avec la création de postes de pharmaciens assistants, ou l’industrie pharmaceutique qui présente une grande opportunité, l’université et la R&D, les nouvelles filières pharma etc.
Par ailleurs, il ajoute que la nouvelle loi santé qui introduit les services rémunérés liés à la santé, permet une amélioration de la qualité des prestations en officine tout en introduisant une rémunération des actes pharmaceutiques. En effet, selon Karim Kabiche cette évolution avec de nouveaux financements, permettra le recrutement de pharmaciens assistants pour faire face à cette nouvelle demande.
En remontant l’histoire de Karim, nous comprenons l’origine du visionnaire que nous avons rencontré. Karim a suivi sa scolarité dans la commune de Ouaguenoune (région de Tikobaïn), à une vingtaine de kilomètres du chef lieu de wilaya. Il est le fils d’un père enseignant, Amar et d’une mère attentionnée Dahbia, tous deux très attachés à l’éducation de leurs enfants, leur inculquant les valeurs nobles et la nécessité de réussir par le travail dans la continuité de l’effort, non essentiellement pour des raisons matérielles mais surtout pour le bien être dans ce qu’ils feront et la réussite de leurs réalisations.
Ils ont ainsi accompagné l’épanouissement de trois de leurs filles dans le secteur de l’éducation, d’un médecin, d’un fonctionnaire et de notre pharmacien. Il passait ses vacances dans la ferme de son grand père à Agouni Bougdal, située dans l’Azaghar, une région à vocation agricole, où ce dernier, en propriétaire terrien nourrissait sa famille de produits de la terre qui permettaient de composer les plats traditionnels desquels émanaient les saveurs authentiques, qui disparaissent progressivement au profit de la modernité et des fertilisants qu’elle apporte.
Durant la période coloniale, son village qui comporte de nombreux martyrs de la révolution, fut marginalisé par l’occupant qui n’y a pas installé d’établissement scolaire, son père devait se rendre à Tigzirt, à une trentaine de kilomètres pour y suivre sa scolarité. Ce n’est que plus tard que fut construite l’école qui accueillit Karim. Il garde des souvenirs magnifiques de sa période scolaire dans l’euphorie des années 70, pour laquelle il cite l’ambiance décrite par Mouloud Feraoun dans ses romans avec la volonté de réussir. Il constate avec regret que dans l’encadrement scolaire actuel, il y a un manque de formation et de développement de l’esprit d’analyse chez nos jeunes écoliers.
Vis à vis de ses enseignants, il leur est très reconnaissant car ils ont su motiver leurs jeunes élèves, leur donner goût pour le savoir leur transmettant les principes solides dans l’instruction, l’éducation civique, la culture générale et l’ouverture vers le monde. Ces formateurs leur faisaient aimer l’ensemble des matières enseignées, même les plus difficiles comme les mathématiques, développant aussi leur sens critique en les invitant à dépasser le superficiel pour aller dans la profondeur des choses à travers le raisonnement en contraste avec les méthodes actuelles où il est dicté aux enfants de ne pas changer la méthode apprise pour trouver la solution à un problème.
Une période post indépendance idyllique passée dans l’euphorie où le jeune écolier avait comme objectif la réussite dans ses études. Le programme scolaire était enrichi d’activités culturelles comme les mises en scènes de pièces théâtrales d’expression populaire qu’il jouait avec ses camarades, ou les chorales reprenant les douces mélodies du patrimoine. L’ensemble des membres de la société de la famille aux voisins, du boulanger au fonctionnaire, étaient impliqués directement ou indirectement pour accompagner ces jeunes apprenants dans leur progression de manière saine.
Ceci avait permis un véritable épanouissement des élèves qui étaient en phase avec la société, forgeant chez eux le sens des responsabilités et une culture orientée vers l’ouverture. Plus tard, ces esprits juvéniles formés à la critique et forts des lectures multiples, se sont intéressés à leur histoire et ont découvert une identité qui dépassait le cadre officiel restrictif. Le lycée s’est déroulé dans les mêmes conditions optimales, poursuivant l’enrichissement de leur bagage culturel puisé notamment à travers les lectures de grands classiques algériens formant une prolifique littérature terrain de la mémoire d’une Algérie multiple.
Des ouvrages qui remplissaient les bibliothèques comme ceux de Kateb Yacine, Mohamed Dib, Malek Haddad, Assia Djebbar, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et bien d’autres racontant admirablement le vécu, le désenchantement, les souffrances et les joies – contrastant avec la littérature contemporaine plus proche où les romanciers s’ouvrent vers des thèmes plus universels. Ceci avait amené nos apprenants aux portes du monde adulte, prêts à jouer leur rôle de citoyens responsables. Karim Kabiche fort d’un parcours particulièrement riche a ainsi développé une envie d’écriture, tant il a observé l’acculturation de la société dans ses nombreuses tonalités et son évolution vers la perte progressive des valeurs, de l’esprit d’ouverture.
Karim Kabiche est aussi musicien et en amateur il ‘gratte’ la guitare en famille ou avec des amis, reprenant les chansons à textes du moment ou celles puisées dans la mémoire du patrimoine. Durant son enfance, à une époque où le médecin n’existait pas dans sa région, Karim fut impressionné par une de ses tantes, appelée ‘docteur Fatma Kaci’ qui soignait les habitants par les plantes et qui obtenait des résultats spectaculaires sur des maladies comme l’eczémas, la toux, l’allergie, etc. Marqué par de telles réalisations médicales où on peut ajouter l’influence de l’ami de son père, le pharmacien regretté Mohamed Said Aiche, que K. Kabiche fit le choix de suivre la filière pharmacie au niveau de la Fac Centrale d’Alger, une fois le bac acquis en 1983.
Des études très difficiles dans des conditions tout aussi difficiles pour un résident en cité universitaire, qui souligne néanmoins la qualité de l’enseignement dispensé à ce moment dans une faculté qui attirait de nombreux étrangers comme les palestiniens, les maliens, les tunisiens, les burkinabais, les camerounais, etc. Karim Kabiche se remémore certains enseignants qui l’ont marqué, touché par leur sens de la transmission des savoirs comme Hamrioui en parasitologie, Abed en pharmacognosie ou encore Kebouche en épidémiologie qui fut un modèle exceptionnel d’humilité et tant d’autres.
L’impact des valeurs que lui ont transmises ses parents auxquelles s’ajoutent celles acquises durant sa scolarité, ont forgé en Karim une personnalité toute en sagesse que l’on retrouve dans son verbe. Il allie le sport aux études en s’initiant aux arts martiaux pour la rigueur des katas et le plaisir d’une pratique sportive qui enseigne des valeurs, comme disait le maitre Gichin Funakoshi, fondateur du karaté comme discipline du corps et de l’esprit « l’efficacité ne s’apprécie guère par l’art martial en lui-même, mais par la qualité même du pratiquant ». Son sens du discernement s’est aiguisé par la pratique des échecs – l’art de la clairvoyance par excellence, où il faut anticiper le jeu de l’adversaire avec style ou élégance selon les écoles. Dans cette activité, lors de son service national en 1994 il a été champion militaire dans la sixième région à Tamanrasset.
Il reste impressionné et très respectueux des leaders de la guerre de libération nationale comme l’emblématique Abane Ramdane et le charismatique Larbi Ben M’hidi qui ont su vaincre avec leurs nombreux camarades, une puissance militaire du moment dans un contexte de déséquilibre flagrant de moyens.
Lorsque la volonté est présente, les réalisations les plus incroyables se concrétisent.