Portrait de Pharmacien, Nabil Trabelsi « la pharmacie était à cette époque, un sanctuaire »

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Portrait de Pharmacien, Nabil Trabelsi « la pharmacie était à cette époque, un sanctuaire »

Portrait de pharmacien, Nabil Trabelsi ‘la pharmacie était à cette époque, un sanctuaire’

Parcours professionnel et service national

Nabil Trabelsi décroche son diplôme de pharmacien en mars 1980. Il est alors recruté par la CASOREC (actuelle CNAS) de Béjaia après que le DG Mohamed Salah Mantouri ait mis en place les Centre Médico Social (CMS) au niveau de l’ensemble du pays avec des salaires attrayants pour les professionnels de santé qui étaient peu nombreux. Une rémunération de 7.500 DA mensuels leur était proposée tandis qu’à l’hôpital les praticiens percevaient 2.500 DA. Nabil fut durant un peu moins de deux années, le pharmacien responsable à la fois du laboratoire et de la pharmacie de ce CMS bénéficiant du coup d’un logement de fonction meublé.

A l’issue de cette période, il est appelé sous les drapeaux et rejoint après son instruction, l’hôpital régional de Constantine d’une capacité d’une cinquantaine de 50 lits avec l’ensemble des spécialités médicales.

Par la suite, il rejoint la direction départementale de la santé de Sétif, dans le cadre du service civil au cours duquel il assumera les fonctions de pharmaciens inspecteur et responsable du laboratoire d’hygiène de la wilaya. Il y coordonnera le contrôle de la conformité des eaux, des denrées alimentaires et du contrôle des lots de l’industrie alimentaire. Son champ d’activité d’inspection couvrait tout point où étaient stockés et dispensés les médicaments.

Activités professionnelles

Nabil a assumé au cours de cette période et durant près de cinq années, les fonctions d’enseignement à l’école paramédicale, contribuant à la formation de plusieurs promotions de techniciens de la santé. Il découvrit le monde passionnant de l’enseignement pour lequel il s’était beaucoup investi afin d’offrir le meilleur encadrement à ses étudiants qu’il accompagnait également dans le laboratoire public. Des années plus tard, il continue de croiser ses étudiants devenus personnels de santé dans les différentes structures sanitaires de la région et qui lui témoignent respect et considération, bien que la mémoire lui fasse défaut pour mettre un nom sous ces visages.

Des compétences au service de la société et du citoyen qui imposaient le respect

Les praticiens médicaux, se retrouvaient autour de l’Union Médicale Algérienne (UMA), l’unique organisation professionnelle pour les médecins, pharmaciens et chirurgiens dentistes au sein de laquelle les bonnes relations confraternelles permettaient de tisser des liens de qualité, ce qui facilita notamment l’organisation de la formation continue via les journées médico-scientifiques. Le système sanitaire était tel qu’à cette époque, les médecins, pharmaciens et chirurgiens dentistes installés en libéral, consacraient la moitié de leur temps à l’hôpital pour une activité non rémunérée, dans le cadre du ‘régime de la mi-temps’.

Nabil Trabelsi ajoute avec nostalgie, que le fait pour les praticiens d’avoir mis leurs compétences au service de la société, leur avaient conféré un très grand respect non seulement de la part de la population, mais aussi de l’administration. Il cite admiratif, l’exemple de feu Dr Amrane, le seul pneumo-phtisiologue pour couvrir 6 à 7 wilayas, de la région installé en libéral, qui débutait sa journée à 8h au niveau des DAT (Dispensaire antituberculeux) jusqu’à 10 heures, puis il consultait au niveau du service de pneumo-phtisiologie de l’hôpital jusqu’à 12 heures pour ensuite se rendre au centre de médecine scolaire où il faisait du dépistage et consultait les enfants jusqu’à 14 heures, ce n’est qu’après ce service civil, qu’il se rendait à son cabinet pour exercer en libéral. La pharmacie était un sanctuaire

Après ses six années de service civil, Nabil s’installe en officine en 1987 selon le système du zoning qui interdisait les installations dans les chefs lieux de wilaya (zone 4). Il sera orienté en zone 3 à Ain Oulmane (W. de Sétif), où il choisi de s’y installer malgré un loyer demandé pour cette zone, correspondant au salaire qu’il percevait de la DDS. Les circonstances jouèrent alors en sa faveur, car au même moment, l’interdiction d’installation en zone 4 venait d’être levée, c’est ainsi qu’il réorienta son installation vers Sétif le chef lieu.

Un des points forts de sa génération au début de son exercice, était le niveau d’organisation de ces professionnels qui se pliaient aux exigences du métier comme le respect des horaires et des gardes. Cela appuyait le respect non seulement entre les praticiens mais aussi celui que leur vouaient les citoyens et l’administration. Nabil Trabelsi rapporte qu’à ce moment lorsqu’il se rendait à sa pharmacie le matin 15 à 20 minutes avant l’heure légale, les patients qui attendaient au seuil de la porte ne pénétraient jamais, bien que la porte ne soit pas fermée à clé, avant que le personnel n’arrive mette sa tenue et procède à l’ouverture officielle. Cette considération que vouait le citoyen à son pharmacien, faisait qu’aucune discussion n’avait lieu parmi les patients qui s’étaient imposé le silence au sein de ce sanctuaire qu’était l’officine, offrant leur attention entière aux moindre mot prononcé par ces blouses blanches de la santé lors de la dispensation des médicaments.

Création de l’Association des Pharmaciens de l’Est – APE, puis du syndicat SNAPO

Les aspects négatifs du moment portaient sur le monopole d’Etat dans la distribution faisant que les PHARMs favorisaient la distribution de leurs agences. Cette situation forçait les pharmaciens à réfléchir sur la solution à apporter à cette injustice. C’est ainsi que se constitua un groupe autour de feu Abderrahim Zemmouchi qui porta le projet de la création de l’Association des Pharmaciens de l’Est (APE) en 1990, où fut élu président feu Abderrahim Zemmouchi, avec parmi les membres du bureau Abdesselem Krid, Hamza Benchicou, madame Meziani, et d’autres.

A noter que le premier et le seul bureau de wilaya de l’APE fut Setif. A cette époque la loi sur les syndicats, ne permettait pas l’ouverture d’autres entités. Pour contourner cette interdiction, l’APE initia une grève mémorable devant le siège de l’ENCOPHARM à Belvue à Constantine, en réponse au mode de distribution sélectif qui privilégiait les agences.

GPHAL: un bon syndicaliste ne peut pas forcément faire un bon manager

Nabil Trabelsi se souvient des efforts qu’il développa pour la création du groupement de distribution Gphal constitué de 216 pharmaciens actionnaires qui vit l’élection de Hamza Benchicou président du CA. Nabil avait rapidement souligné une erreur commise portant sur le choix des dirigeants de l’entreprise car l’idée reçue faisait penser qu’un bon syndicaliste pouvait faire un bon manager. Ce faux pas fut l’objet d’une pomme de discorde entre Nabil et ses camarades. A un moment où aucun grossiste n’existait, des négociations avaient cours entre Gphal et l’entreprise LPA de Boudouaou (l’une des toutes premières), qui était conventionnée avec les laboratoires pharma. Le responsable de LPA proposa lors d’une réunion, un appui financier et technique à la société Gphal, forte d’infrastructures confortables dont elle disposait à El Eulma, Batna et Constantine, pour assurer la distribution des produits sur l’ensemble du territoire.

La proposition défendue par Nabil, ne fut malheureusement pas retenue pour des motifs qui relevaient plus d’hypothèses erronées que d’économie et d’accords commerciaux. C’est ainsi que les pharmaciens perdirent la possibilité de couvrir 100% du marché de distribution des médicaments.

Sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche furent engagées d’importantes réformes économiques et une refonte de l’Etat algérien qui avaient débuté en 1988. Nabil Trabelsi cite pour l’histoire que le chef du gouvernement avait été induit en erreur par des tiers qui cataloguaient l’APE d’être contre les reformes engagées, ce qui était faux et le groupe de pharmaciens s’est attelé à faire parvenir le démenti. Une anecdote vient appuyer le rôle positif qu’on joué les pharmaciens. Elle nous porte aux assises de la santé initiées au début des années 91, et où Mouloud Hamrouche qui était venu pour la clôture, en entrant dans la salle des conférences s’est dirigé vers la table des pharmaciens et salua respectueusement le regretté Abderrahim Zemmouchi.

Après l’échec du groupement Gphal, Nabil ne baisse pas les bras, appuyé par les circonstances favorables qui amenèrent à l’adoption de la loi 90-14 relative à l’exercice du droit syndical et signée par le président Chadli Bendjedid le 2 juin 1990, ouvrant le champ syndical à toute organisation algérienne. Elle fut l’élément qui permit à l’APE de mobiliser les ressources et d’initier les réunions de concertations avec les pharmaciens engagés parmi lesquels on retrouve en plus des membres du bureau de l’APE, S’Oad Hamrour, Habiba Loucif, Z’Hor Bouyoucef et Omar Mehri que Nabil Trabelsi qualifie de cheville ouvrière pour n’en citer que quelques uns la liste étant longue, pour porter le projet de création du plus que nécessaire syndicat.

Lors de l’assemblée générale constitutive en 1996 à l’hôtel El Aurassi à Alger, les membres présents décidèrent la création du premier syndicat des officinaux qu’ils appelèrent le SNAPO et élurent feu Abderrahim Zemmouchi comme premier président, Nabil fut élu vice président.

L’ordre des pharmaciens

Nabil Trabelsi rappelle que malgré la promulgation en 1991 du décret portant code de déontologie, les élections ne se sont déroulées qu’en 1993. C’est à cette date qu’il est élu dans sa région et qu’il intègre le Conseil National. L’année suivante, un recours est déposé par Djamel Ould Abbes, président de l’UMA pour vice de forme dans le calendrier électoral, un gel du processus électoral avait été prononcé par feu le professeur Yahia Guidoum, ministre de la santé de l’époque.

Les organisations professionnelles se sont levées en un seul bloc pour manifester leur mécontentement. La plainte de l’UMA est ensuite arrivée à la cour suprême qui s’est prononcée dans les mêmes termes. Les élections n’ont pu être réorganisées, qu’en 1998 et Nabil Trabelsi n’avait plus représenté sa candidature. Déçu, il finira par quitter le syndicat et se retira de la scène professionnelle durant plusieurs années.

Durant cette période, la situation de l’officine avait continué de se détériorer. Yahia Guidoum, ministre de la santé, venait de supprimer l’arrêté portant numérus clausus, ce qui provoqua un séisme au sein de la profession. C’est alors que par acquis de conscience, persuadé qu’il pouvait contribuer à mettre en place une mécanique pour un exercice noble de la pharmacie, il se présentera aux élections du conseil de l’ordre de 2006 organisées par le ministère de la santé, suite à un dépassement de mandat. Fort de son charisme et de son sens de la défense de la pharmacie, il bénéficiera de la confiance des pharmaciens de sa région qui couvre les wilayas de Setif, Bordj et Msila, et sera élu président de la SORP de Sétif, puis membre du Conseil National et vice président du bureau national.

L’issue pour l’officine: Les services liés à la santé

« Les déviations dans les pratiques perpétrées par des pharmaciens, sont fort regrettables et blâmables. Pour que le pharmacien puisse jouer son rôle, il doit être derrière son comptoir, recevoir les patients pour dispenser des médicaments dans les meilleures conditions et fournir les conseils adéquats ». Nabil estime que la revendication de l’augmentation des marges, qui est un sujet mis sur la table depuis 1998, pour lequel aucune suite n’a été accordée, nécessite d’explorer de nouvelles opportunités pour préserver l’officine comme les services liés à la santé prévus dans la loi santé 2018 qui peuvent prétendre à une rémunération, qui sont la seule alternative de sortie de crise de l’officine. Les groupements de pharmaciens qui sont sur le terrain comme Pharma Invest, peuvent par leur réseau, leurs parts de marché, jouer un rôle prépondérant en accompagnant la formation des pharmaciens avec le conseil de l’ordre, pour l’acquisition des compétences pour la réalisation des services identifiés.

« Si la pharmacie est en situation difficile, je crois aux vertus de l’acharnement. Lorsqu’on veut quelque chose, avec de l’acharnement on peut l’avoir. Il y a de jeunes pharmaciens qui peuvent reprendre le flambeau et faire beaucoup de choses. » Nabil reste optimiste.

Une enfance très familiale

Fils d’un des premiers instituteurs de la région de N’Gaous (W. Batna), à un moment où à la fin des années 40, l’enseignant qui était polyvalent, avait, dans une même classe, l’ensemble des élèves des différents niveaux scolaires. Après le déclenchement de la lutte armée, son père est arrêté et emprisonné en 1956 à Djorf par l’armée de colonisation pour ses activités dans la lutte de libération nationale. Il y restera jusqu’en 1959, puis sera successivement assigné à résidence puis interdit de séjour dans le département historique des Aures qu’il dû quitter avec sa famille se retrouvant alors dans le département de Sétif où il poursuivra son rôle d’instituteur.

Après la disparition de son grand père en 1953, Nabil se souvient du rôle de patriarche assumé par son père qui s’est retrouvé en qualité d’aîné, chef de famille de ses cinq soeurs et trois frères, de leurs enfants et de ses neuf filles et fils sous le même toit, une famille particulière de 25 personnes avec l’aide très précieuse de son épouse admirative et aux petits soins avec tous ses enfants. C’est dans cette précieuse ambiance familiale baignée dans le bonheur qu’a grandi Nabil, pour qui la sacralité de la famille était inébranlable, ancrée dans la plus pure des traditions du respect, de l’admiration et de la discipline.

Disparu en 2003, ce patriarche exceptionnel avec une très forte personnalité aura servi l’éducation Nationale durant 46 années au cours desquelles il forma de nombreuses générations. Son grand père maternel qui était aussi instituteur était très respectueusement appelé par les citoyens, ‘Taleb’, le détenteur du savoir pédagogique, la référence, l’homme à respecter par excellence.

Parcours scolaire

Bercé dans ce précieux cocon familial, Nabil n’eut aucune difficulté quelques années plus tard, à passer une partie de son primaire chez son oncle à Alger qui était en quelque sorte son grand frère, car ils avaient vécu ensemble sous l’autorité du patriarche incarné par son père. De retour à Sétif, il décrochera quelques années plus tard son examen de sixième, puis son bac en 1974 au célèbre lycée El Karaouani. Nabil avait des affinités pour la technologie et souhaitait entreprendre des études d’ingénieur. Il avait alors bénéficié d’une bourse d’études de la société nationale SNS de l’époque, pour suivre un cursus d’ingéniorat à l’Ecole Polytechnique de Lausanne en Suisse. Son père, dans un souci familial, s’y était délicatement opposé. Nabil opta alors pour la filière tronc commun biomédical, à l’issue de laquelle il fut bien classé, et pu opter pour la filière de son choix: la pharmacie, sur le chemin de ses deux oncles pharmaciens.

C’est au cours de ce cursus que se forgea une vocation qui l’accompagnera durant ses nombreuses années d’exercice.

Des souvenirs d’Université

A cette époque, il existait très peu de facultés de pharmacie en Afrique. Nabil, inscrit à la faculté d’Alger a été l’élève du monument de la pharmacie algérienne, feu le professeur Ali Gherib, le premier auteur de la collection des fascicules de pharmacie thérapeutique, recherchés pour leur qualité par les étudiants européens. Nabil restera impressionné par le charisme de son professeur auquel il voue un très grand respect, lequel en plus de sa disponibilité, maitrisait parfaitement son sujet. Il avait la capacité de transmettre avec pédagogie son savoir et la complexité de la chimie aux étudiants. La faculté d’Alger comportait d’autres grands noms comme le professeur El Houari Abed pour la matière médicale et le droit pharmaceutique, le professeur Rachid Denine pour la pharmacie galénique, le défunt Abrouk Madani pour la chimie minérale d’une pédagogie exemplaire. Installation en officine, activités syndicales et ordinales

Vingt sept années plus tard, il décide de céder son officine nous sommes en 2014.

Abdellatif Keddad
In ‘Le Bulletin du Pharmacien’, mai 2022′
Pharma Invest spa

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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