Portrait de pharmacien, Morad Tamani, président de l’Ordre des Pharmaciens — Sétif, l’option pharmacie sur la piste de Ferhat Abbas

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Portrait de pharmacien, Morad Tamani, président de l’Ordre des Pharmaciens — Sétif, l’option pharmacie sur la piste de Ferhat Abbas

Morad Tamani, pharmacien président de l’ordre des pharmaciens de la région de Sétif Natif de Bougaa, à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale, a grandi dans un famille attachée aux valeurs de loyauté de générosité et de détermination où l’entraide était primordiale. Son père, Hadj Tamani Rabah était chef de la tajmaât (Djemaa), cette assemblée d’hommes qui est une institution occupant une position centrale dans l’organisation sociale en tant qu’autorité dirigeante du village. Ses attributions s’étendent aux domaines législatifs et exécutifs, traitant souvent les règlements des litiges au sein de la communauté. Morad a pratiquement calqué sa personnalité sur celle de son père.

Sa région est d’une grande richesse agricole et touristique, comme le Hammam Guergour, à une encablure de Bougaa, qui est un bain de  l’époque romaine daté entre le 2e et le 4e siècle et dont les thermes constitués de quatre piscines, avaient été découverts en 1937. Ses eaux chaudes riches en sulfates calciques sont aussi radioactives. Utilisés par les romains pour se baigner et se détendre, ce furent aussi des lieux de lecture. Ils ont un rôle social important et font la promotion de l’empire romain à travers le raffinement de ses citoyens. Cependant, certains auteurs y décrivent un processus de romanisation voir de conquête et d’acculturation (Yvon Thébert – Thermes romains d’Afrique du nord et leur contexte méditerranéen).

Un archéologue nous rappelle que l’utilisation des eaux thermales remonte aux temps préhistoriques et que les romains ont systématiquement utilisé et exploité les thermes préexistants, recouvrant inévitablement les éventuelles structures d’époques antérieures, qui ont peu de chance d’être visibles d’autant que les fouilles qui auraient permis de distinguer les différentes phases d’aménagement et de remaniement ont été menées à l’époque coloniale de manière très peu scientifique.

Au lendemain de l’indépendance, Morad Tamani intègre le lycée à 12 ans en classe de 6ème au Lycée Mohamed Kerouani  (ex lycée Eugène Albertini) de Sétif comme interne. A cette époque le lycée intégrait les années du collège jusqu’au baccalauréat. Le corps enseignant algérien était enrichi de plusieurs nationalités avec des cadres russes, français, égyptiens, irakiens et syriens. Notre pharmacien souligne l’excellente qualité de ce personnel pédagogique multiculturel, qui offrait un enseignement autant sur les matières scientifiques que littéraires aligné sur les standard internationaux, rivalisant sans complexe avec l’éducation dispensée dans les autres pays. Le célèbre lycée a accueilli de grands hommes politiques comme Ahmed Taleb Ibrahimi, Belaid Abdesselem, le célèbre écrivain Kateb Yassine ou encore le journaliste Abdelhamid Benzine et de nombreux autres personnalités.

C’était le seul lycée à cette époque qui drainait les élèves venus des wilayas de Bejaia, Bordj Bou Arreridj et M’Sila, à côté du Lycée de jeune filles Malika Gaid. C’est dans ce lycée que 17  élèves  mirent en place en toute discrétion, une section du PPA (partie du peuple algérien), initiant à leur niveau la conscience du nationalisme pour l’indépendance de l’Algérie, un récit raconté en détail par Hocine Ait Ahmed dans Mémoires d’un combattant.

Morad Tamani évoque la pression de l’internat à la discipline de fer où se forgent de solides personnalités. Nombreux sont ceux, séparés très tôt de la cellule familiale, qui abandonnèrent. Malgré cela, une dynamique sportive s’était développée dans de nombreuses disciplines (volley ball, hand ball, …) à travers l’association du sport scolaire (FASSU), procurant au lycée une excellente équipe de football, qui participa à deux finales nationales ou l’équipe de basket qui remporta la coupe. Abdelhamid Sanchi, et Koussim avant centre de l’entente de Sétif, joueurs de l’équipe nationale,  firent leur classes dans ce lycée.

L’établissement proposait des activités artistiques comme le théâtre, le dessin ou la musique qui encouragent les lycéens à explorer leur créativité pour exprimer leurs idées, leurs émotions sur le monde qui les entoure. Les capacités cognitives des élèves étant sollicitées, au profit du développement de l’esprit critique et de l’exploration de nouvelles perspectives artistiques.  Les élèves du lycée participaient à la rédaction d’un journal hebdomadaire, à travers divers articles sur de nombreuses thématiques. Abdelhamid Benzine, y participa à son époque. Cette activité, réalisée avec la fameuse ronéo (ancêtre de l’imprimante si on peut dire) sensibilisait les rédacteurs, sur l’actualité et contribuait à développer leurs compétences en écritures à travers la communication et leur regard critique sur la société. Un profil que l’on retrouve chez Morad Tamani, dont l’esprit d’analyse forgé dans cet environnement, est apprécié par ses pairs. C’est en juin 1975 qu’il décroche son bac en juin 1975.

La région natale de Morad Tamani est aussi réputée pour sa production d’huile d’olive et de figues sèches pour lesquelles le pharmacien évoque les nombreuses propriétés dont l’indice glycémique bas. Le conteur et poète Rabah Belamri, aussi natif de Bougaa qui a également fréquenté le lycée Kerouani, s’est attaché à préserver la culture orale de l’oubli face au monde moderne connecté. Notre pharmacien le cite avec beaucoup d’intérêt, car c’est à travers lui qu’il a notamment découvert l’origine du cimetière local appelé ‘Gbar Turk’ (le cimetière turc), et qui correspond à l’époque ottomane où les gouverneurs locaux qui supervisaient la production de blé, envoyaient leurs fonctionnaires prélever l’impôt en nature pour le transporter via la route du blé vers le port de Sousse puis exporté vers la Turquie.

On apprend que l’impôt prélevé devenu excessif, la population locale se révolta et combattit les turcs dont les victimes furent enterrées à cet endroit. Il y eu par la suite une répression très sévère de la cavalerie ottomane qui tua de nombreux habitants.

Morad Tamani cite également Saad Taklit auteur de « l’Allemande de mon village« , qui est un roman inspiré d’une histoire vraie, celle de Ursula Scherzer, qui a installé le premier laboratoire photo de la région, elle devint par amour, madame Kahla.

Impacté par la proximité de son père avec le parti de Ferhat Abbas, le pharmacien qui fut premier président du GPRA, il en suit le conseil et rejoint l’université de Constantine pour le tronc commun, puis l’année suivante il est orienté vers l’unique faculté de pharmacie à cette époque, celle d’Alger et fini dans une promotion de 28 étudiants, après que bon nombre aient abandonné ces études difficiles dans des conditions toutes aussi difficiles. La qualité des enseignants et la bonne ambiance monsieur le professeur Ali Gherib, Rachid Denine, Dekkar, Kezzal, Salhi, Bouguermouh.

C’est en 1981 qu’il décroche son diplôme de pharmacien, pour la plus grande fierté de ses parents. C’est alors le départ pour le service national et rejoindra la 4e région de Ouargla, et met en place en qualité de responsable de l’établissement de ravitaillement sanitaire, le laboratoire de l’infirmerie régionale. Après la période militaire, il est affecté à l’hôpital de Bougaa en qualité de pharmacien principal ayant en charge la pharmacie et installe le laboratoire. En 1987, il s’installe en libéral, ce sera la première officine de la commune, un évènement qui fut très apprécié de la population et des autorités locales.

En jeune pharmacien, il est déjà confronté à une première problématique, celle de la pénurie de personnel. Très motivé, confiant dans les compétences acquises, il recrute ses collaborateurs en faisant le challenge de former lui-même son équipe officinale, ses patients en furent satisfaits. Il exerçait pleinement l’ensemble des activités liées à la pharmacie en réalisant en plus de la dispensation et du conseil, les examens de laboratoire pour le suivi des patients, les préparations galéniques qui ont maintenant quasiment disparu. Morad Tamani nous rappelle qu’à ce moment entre les années 87 et 2000, les rapports avec le corps médical étaient excellents avec de fréquents échanges fréquents. Les prescripteurs se souciant des résultats de leurs patients l’appelaient pour obtenir les comptes rendus ou des informations sur la disponibilité des médicaments, les alternatives thérapeutiques.

Morad Tamani reste admiratif du combat de Ferhat Abbas pour le développement de l’Algérie, d’abord à travers les récits de son père, puis la lecture des ouvrages qu’il a rédigés. Cet homme politique, pharmacien qui avait son officine à Sétif, bénéficie d’une grande popularité pour sa générosité, sa loyauté pour le pays, son militantisme. Mu par la volonté de contribuer au développement, Morad s’implique dans la société, d’abord en formateur du personnel para médical au sein de l’hôpital où il exerçait. Polyvalent, il a aussi était joueur de foot dans le club local RCB, puis il en sera élu en qualité de président. Sans relâche, durant la décennie noire, il fonde avec des collègues, l’association d’aide aux diabétiques de la région Nord de Sétif, pour surmonter les difficultés rencontrées par ces patients. Il y sera élu président. Ce groupe lance, avec l’aide de l’éminent professeur Rachid Malek, l’Education thérapeutique, une pratique qui en était à ses tous débuts. Ses qualités de pédagogue l’amènent à encadrer de nombreux étudiants auxquels son officine servait de terrain de stage.

Puis, suite à un différend entre le bureau syndical local et l’instance nationale, qui s’était soldé par un gel des activités en 2006, Morad Tamani est pressenti l’homme de la situation car ses confrères l’avaient sollicité pour régler le conflit et réactiver le bureau de Sétif. En 2008, il est élu par ses pairs président et contribuera à la relance saine des activités syndicales. Les problèmes se succédant, une tension se développa entre le syndicat et l’ordre, fort du travail positif qu’il réalisa et de la bonne considération que lui accordaient les deux parties, il est sollicité pour intégrer l’ordre régional où il sera élu par ses confrères au niveau SORP, où il assumera la fonction de secrétaire général, puis président lors du second mandat. Une fonction qu’il retrouvera en 2023, après s’être retiré entre temps.

Il évoque la commission de discipline qui a eu à traiter des cas de publicité via internet, de tombolas lancées par les officinaux, la rétention des cartes chifa. Morad regrette que les dérapages qui existent, n’ont malheureusement pas fait l’objet de plaintes écrites. Du haut de ses 69 années et de ses 36 années de carrière d’officinal, il dresse un tableau peu reluisant de ce qu’est devenue l’officine au regard de ce qu’il a connu durant sa jeunesse où le pharmacien était considéré comme un notable et invité par les pouvoirs publics à chaque évènement. A partir des années 2000, l’officine s’est radicalement transformée à tel point qu’il ne reconnait plus celle qu’il exerçait à ses débuts, où pénétrer dans une officine était un plaisir, une fierté.

Le changement semble avoir aussi touché la société nous confie Morad, citant certains patients au comportement irrespectueux, voir prétentieux, ou celui des patients autoproclamés médecins.  Selon Morad Tamani, il faudrait un changement en profondeur dans le fonctionnement de l’officine. Tout d’abord, la formation de base doit être revue, car selon lui pour être un bon pharmacien il faut être un bon citoyen. Puis, il faut des terrains de stages labellisés par le conseil de l’ordre. Pour Morad, la vaccination anticovid et les test antigéniques ont été les premiers services liés à la santé réalisés par les pharmaciens, s’ils ont été réalisés gratuitement, ils peuvent intégrer la NGAP (Nomenclature Générale des Actes Professionnels) et prétendre ainsi à un remboursement par la sécurité sociale. Il est nécessaire que la profession mette en place un plaidoyer vers l’autorité sanitaire pour la promulgation des textes d’application à l’image des textes qui existent dans les autres pays.

Les groupements peuvent jouer leur rôle et Pharma Invest qui est une réussite,  présente les caractéristiques pour contribuer au développement de la pratique pharmaceutique, corriger les lacunes. La profession semble être victime de son modèle économique qui indexe les revenus des pharmaciens, uniquement sur des opérations commerciales, d’où les déviations constatées sur le terrain comme la rétention des cartes chifa, la concurrence déloyale, les cadeaux, les pratiques illégales qui sont condamnables, dans les pratiques. « Les difficultés financières rencontrées par les pharmaciens, ne donnent pas le droit de déraper, la richesse est à chercher ailleurs ». Il insiste sur la qualité des soin à fournir aux patients, les dépassements nuisent à la profession en ajoutant que l’officinal n’est pas un commerçant du médicament, c’est un praticien de la santé.

Morad Tamani appartient à cette catégorie d’hommes, dont la culture et les principes solidement encrés, font de lui un visionnaire éclairé.

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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