Portrait de pharmacienne: Houria (Karima) Yacef, une force tranquille de bienveillance
Portrait de pharmacienne: Houria (Karima) Yacef, vice présidente de la FAPH« Une force tranquille de bienveillance »
Par Abdellatif Keddad in « Le Bulletin du Pharmacien »
Houria Yacef dite Karima , la généreuse en arabe, est née à Sidi Abderrahmane dans la Casbah d’Alger. Elle est issue d’une famille qui compte plusieurs martyrs de la révolution et des moudjahidines dont son oncle Yacef Saadi, figure emblématique de la zone autonome d’Alger et l’un des architectes de la fameuse bataille d’Alger, qui lui confia un jour du haut de ses 90 ans « je suis heureux de te voir vivre dans une Algérie indépendante ». Son père fut arrêté à la Casbah et incarcéré durant deux années au camp Cazelle à Ain Oussera, pour ses activités en faveur de la révolution. Diplômée de la fac d’Alger en 1992, Karima sera affectée au laboratoire d’analyses médicales de l’hôpital de Bir Mourad Rais, puis de Bitraria où elle y restera 9 années.
En 2002, elle opte pour le secteur libéral à Bourhoum (Msila) où elle s’installe en officinal durant 2 décennies. Elle y a côtoyé comme elle nous le décrit des patients admirables avec un personnel compétent. Karima a fait une poliomyélite post vaccinale à l’âge de dix huit mois, et c’est pendant le cours de virologie qu’elle en découvrit l’agent causal, le picornavirus du genre Enterovirus. Le chargé de cours évoqua alors que si par le passé, la poliomyélite tuait ou paralysait 500.000 personnes chaque année à travers le monde, le vaccin qui fut une découverte majeure avait permis de réduire de 99,9% ces cas à partir des années 80. Il ajouta que cependant, de très rares cas peuvent survenir où la souche vaccinale inoculée retrouve sa pathogénicité cela est apparu dans 1.000 cas pour 3 milliards d’enfants vaccinés. Karima lui répondit avec ce doux sourire qui la caractérise « Et dire que j’ai fait partie de ces exceptions! », une journée qu’elle n’oubliera jamais, avec un goût d’émotion, elle qui avait évolué avec son handicap sans trop se poser de question, ni s’acharner sur le sort.
Karima a vécu une très belle enfance et rend hommage à tous les parents qui ont consacré leur vie à leurs enfants en situation de handicap en ne ménageant aucun effort pour qu’il réussissent. Parmi eux, ses parents et ses frères et sœurs. Elle ajoute que durant sa scolarité, s’était développée une solidarité de la part de ses copines qui lui portaient spontanément le cartable à tour de rôle.
Le sang des Yacef coulant dans ses veines, l’esprit altruiste de Karima alimentait chez elle la vocation de l’exercice de la médecine, animée d’une profonde compassion pour prodiguer soins et réconfort à ceux qui en avaient le plus besoin. Cependant, nombreuses furent les personnes bien intentionnées qui lui dessinaient une profession qui lui serait difficile de pratiquer vu son handicap, une profession éreintante où l’on ‘court’ beaucoup à travers les urgences pour les patients. Ce verbe lui est apparu amenant un tourbillon d’émotions contradictoires entre l’aspiration à sauver des vies et la crainte d’être emportée par ce tourbillon incessant. Elle du revoir ses ambitions et renoncer à cette filière médicale pour embrasser la filière pharmacie, gardant ainsi un contact avec le monde de la santé où son désir de fournir des soins se ferait sous une autre forme.
Au delà des limites physiques qui pourraient entraver son parcours, elle incarne une véritable force tranquille de bienveillance. Elle ne regrettera jamais ce choix, bien au contraire: la vraie grandeur réside dans la capacité à servir les plus faibles, peu importent les circonstances. Après ses études, Karima qui souhaite renforcer son autonomie, découvre la possibilité de passer son permis de conduire grâce à l’Union des Handicapés Moteurs de la wilaya d’Alger. C’est là qu’elle rencontre Atika El Mameri, une personne merveilleuse d’une grande générosité, devenue paraplégique suite à un accident de la circulation. Le travail développé par cette organisation, lui suggère la nécessité de la rejoindre. A cette époque, en plus du volet santé auquel elle était affectée avec l’orientation et la prise en charge des personnes, elle traitait le courrier de l’association qui provenait de l’ensemble des wilayas du pays.
Vers la fin des années 90, des liens s’étaient tissés avec le service d’orthopédie de l’hôpital de Ben Aknoun, dirigé par le professeur Benbouzid qui avait montré une grande disponibilité pour mettre en place des consultations spécialisées pour les patients en coordination avec l’association. La problématique de l’hébergement pour les plus éloignés avait été solutionnée par un rapprochement de l’association avec Diar Errahma à Birkhadem, un établissement d’accueil humanitaire.
Son engagement en toute abnégation pour la bonne cause, fera qu’elle gagnera la sympathie des membres qui l’éliront par la suite au sein du bureau. Face aux nombreuses sollicitudes venues des personnes de nombreuses wilayas, lancer une fédération des associations devenait une nécessité pour élargir le réseau. Les tracasseries administratives rendant complexe la vie des citoyens, le groupe propose ses services à la direction de l’action sociale qui accueille très favorablement le projet, pour préparer les dossiers administratifs d’obtention des cartes de handicapés. Il fallait aussi mobiliser un médecin pour étudier et traiter les dossiers élaborés par la fédération lesquels représentaient un travail volumineux: l’officine National des Statistiques (ONS), recensait à cette époque environ 234.000 personnes en situation de handicap moteur dans tout le pays dont plus de 18.000 pour la seule wilaya d’Alger.
Constatant le travail sérieux de la fédération et la plus value qu’elle pouvait apporter, les responsables de l’hôpital de Ben Aknoun leur proposèrent un siège au conseil d’administration, ce qui marque une reconnaissance à la hauteur de la crédibilité et de l’efficacité des bénévoles de l’organisation. En vice présidente de la Fédération, elle fut motivée par la mise en place à Bourhoum (W. M’Sila) d’une structure d’accueil de ces citoyens en situation de handicap, à l’image de l’ambitieux et innovant projet du centre d’accueil pluridisciplinaire qu’elle a piloté à Alger. Karima notait durant son quotidien les difficultés des nombreuses personnes en situation de handicap, notamment les enfants infirmes moteurs d’origine cérébrale (imc) dont la terminologie médicale en a redéfini le concept en paralysie cérébrale la calquant sur le modèle anglophone.
C’est un handicap, non congénital, qui survient souvent suite à une asphyxie néonatale au terme de la grossesse, bien que celle-ci se soit déroulée dans les conditions optimales. Une précocité, une négligence professionnelle lors de la délivrance, l’enfant né ‘bleu’ passe par la couveuse et quelques mois voir années plus tard, l’avenir des familles basculera dans le drame à l’annonce du diagnostic médical, lorsque l’enfant ne pourra pas maintenir la position assise ou ne marchera pas comme ses jeunes camarades. La FAPH, a débuté petit développant progressivement ses capacités à travers des partenariats qui ont permis à ses membres de suivre de nombreuses formations, notamment dans l’ingénierie de projets, la rédaction de rapport alternatif, le processus de production du handicap (PPH), le plaidoyer, etc. Puis à son tour, la fédération en formateur, a pu retransmettre les connaissances acquises pour en faire profiter les nombreuses associations adhérentes. La FAPH qui venait de mettre en place au niveau de l’hôpital, le suivi de la scolarité pour les enfants hospitalisés, obtient le statut de membre consultatif auprès des Nations Unies, un autre témoignage fort de la crédibilité de cette organisation.
L’Algérie ayant ratifié la Convention Internationale Relative aux Droits des personnes Handicapées (CRDPH) en 2009 par décret présidentiel et en référence à l’article 153 de la Constitution algérienne qui prévoit que « Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi », permet à la FAPH de rédiger tous les deux ans, un rapport alternatif qui est présenté lors de l’assemblée générale des Nations Unies. La CRDPH prévoit l’élaboration d’une politique nationale cohérente, intersectorielle et horizontale de prise en charge et d’insertion des personnes handicapées.
Ainsi, des conventions de partenariat ont été signées avec les pouvoirs publics. L’une d’elle ciblant le neuro-développement, fut signée en 2018 avec le ministère de la santé. Elle a abouti à la décision de création de centre dédié au dépistage précoce et à la prévention au sein de l’EPSP de Baba Hassen où Karima et son équipe de la fédération avaient intégré le comité de pilotage. Cette convention prévoyait la formation des personnels des hôpitaux de Beni Messous, Kouba, Durando et l’EHU d’Oran sur la prévention des handicaps évitables en salle de naissance avec une équipe pluridisciplinaire étrangère composée de sage femmes, gynécologues, puéricultrices, pédiatres néonatologues.
Pour l’échange des savoirs, l’établissement a été jumelé avec le centre d’action médico-sociale précoce de Montpellier, dont le personnel s’est déplacé vers Alger dans le cadre du compagnonnage. Karima ajoute qu’il s’agissait de faire apprécier leur travail aux professionnels, en mettant en place l’esprit de collaboration dans le concept de l’équipe pluridisciplinaire et mettre fin à l’errance des familles ballotées de spécialistes en spécialistes. Un accompagnement des familles est réalisé, l’enfant est alors pris en charge dans les meilleures conditions avec un examen minutieux de toute l’équipe. L’annonce du handicap par le médecin constitue une épreuve difficile pour les parents qui ont droit à la vérité. Elle nécessite une certaine empathie et se fait avec écoute et respect en expliquant aux parents les certitudes et les faits incertains.
Tout un réseau a été mis en place autour de la structure sanitaire pour faciliter la prise en charge notamment en intégrant d’autres spécialités comme l’imagerie, l’ORL, la pneumologie etc. Karima Yacef évoque les 3.500 nouveau-nés à risque chaque année sur Alger soit près de 35.000 sur l’ensemble du pays. Elle est très reconnaissante du travail déployé avec un engagement sans limite par le comité de pilotage dont elle cite une longue liste au sein de laquelle on retrouve les professeurs Laraba, Haridi, Arrada, Bendaoud, Grangaud et dr Kaddour dont plusieurs nous ont quitté. Avec l’équipe de la FAPH, Karima a participé à une large enquête épidémiologique à laquelle était associée l’INSP (Institut national de santé publique) sur les pathologies invalidantes au niveau des unités de néonatologie d’ Alger et Blida. Il s’agissait de relever les pathologies qui étaient pourvoyeuses de ces handicaps et l’asphyxie néonatale avait été identifiée comme étant la principale cause.
Les premiers bilans du travail développé à Baba Hassen montraient que les enfants pris en charge précocement, présentaient une évolution favorable. Sur la base de ces données, un solide plaidoyer avait pu être mis en place et servir à appuyer et développer les actions initiées par la fédération. La FAPH a aussi signé une convention avec la CNAS portant sur l’octroi d’un prix de journée pour les associations affiliées, pour chaque enfant pris en charge par des professionnels travaillant dans les centres gérés par ces associations. La fédération s’est aussi penchée sur les difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap qui souhaitent suivre des formations professionnelles. Ce travail a abouti en 2013 à la signature d’une convention avec le ministère dédié en vue de cerner les besoins et élaborer des formations adaptées.
Grâce à la formation sur l’élaboration de plaidoyer, l’équipe de Karima a porté efficacement ses divers projets et atteint les objectifs assignés. Le dernier en date fut le partenariat avec l’UNICEF qui a accompagné la FAPH dans la dernière étape de l’évaluation des activités du centre de Baba Hassen. L’approche collaborative adoptée par l’équipe de Karima, a permis de concrétiser les projets, faisant de la FAPH une organisation crédible intégrant parfaitement le rôle au sein de la société civile énoncé par le président de la république. En nous inclinant de respect pour cet engagement, on ne peut que souhaiter pleins succès à Karima et ses collègues dans la suite de leurs activités et d’autres belles réalisations au profit des plus faibles.
L’un des souhaits de Karima, est que l’on puisse arriver un jour avec moins de problèmes qui génèrent des handicaps à la naissance dans notre pays. On peut dire que la FAPH est sur le bon chemin pour obtenir le statut d’organisation d’utilité publique.
Pour en savoir plus sur Karima Yacef, voir le film Naissance d’un projet sur YOUTUBE