Portrait de pharmacienne: Nefissa Sola, Une casbadji d’âme et de coeur tombée sous le charme de Timimoun

par Abdellatif Keddad
In Le Bulletin du Pharmacien
Pharma Invest spa, novembre 2023

C’est une authentique Casbadji d’âme et de coeur que nous rencontrons avec Nefissa Sola, pharmacienne aux multiples horizons. Née à Alger Centre, aînée d’une fratrie comptant une soeur et trois frères, elle a grandi dans le quartier du Moulin, en référence au moulin à blé qui existait dans le passé rue Victor Hugo. Elle fréquente les établissements scolaires environnants, où ses bons résultats et sa gracieuse hauteur, attisaient les jalousies de ses camarades du primaire.

Forte d’une personnalité affirmée, elle se décrit comme une farouche déterminée, résolue à défier les conventions étriquées qui tentaient de contenir son esprit insoumis. Ses parents qui ont été des autodidactes cultivés, ont constitué pour elle un merveilleux creuset d’éducation et ont transmis à leurs enfants le goût de la lecture. Nefissa décrit son père, comme la ‘rejla’ à l’algérienne, où l’on évite d’exprimer les sentiments qui pourtant ne demandent qu’à s’extérioriser, ‘une main de fer dans un gant de velours’. Ses trois années de lycée se terminent avec l’acquisition du baccalauréat scientifique en 1982.

Faculté
Ses bons résultats scientifiques lui laissent un large panel de choix de filières universitaires et paradoxalement, sa passion pour l’histoire l’a poussée vers ce cursus littéraire, qu’elle doit vite abandonner pour des raisons linguistiques. Elle est alors motivée pour embrasser une carrière militaire comme pilote dans l’Algerian Air Force. Cependant, l’éloignement du centre de formation de Tafraoui, amena l’objection paternelle. Elle s’inscrit donc dans la dernière promotion modulaire du tronc commun biologie où elle apprendra que la santé militaire recrutait.

Ainsi, la carrière militaire s’ouvre à elle qui finit par signer un engagement de vingt-cinq années comme élève officier d’actif. Si au départ elle s’oriente vers la médecine vétérinaire, elle découvre à travers l’école de santé militaire de l’hôpital Maillot (CHU Bab El Oued), toute la dimension de la santé humaine qu’elle finit par rejoindre en se réorientant vers la pharmacie. Sa carrière aura été plus courte que prévue car elle démissionne au bout de quatre années. Lors de sa dernière année, elle est collaboratrice dans un journal qui lui propose la rubrique hebdomadaire de phytothérapie.

Le diplôme est acquis en 1992, elle poursuit son cursus en s’inscrivant à la faculté de pharmacie de Monastir pour un CES de phyto- aromathérapie par passion pour la botanique sous la direction du professeur Rachid Chemli. Elle obtient son CES en 1996. Nefissa devient directeur technique d’une société de distribution durant 24 mois. Entre 2003 et 2006, elle suit un DU d’homéopathie à Marseille, à la faculté de pharmacie de la Timone. Cette orientation lui paraissait être une suite logique à l’aromathérapie dont les prescriptions de consensus, comportaient souvent des traitements homéopathiques.

Sola rend hommage à l’un de ses enseignants, le Pr Guy Balansard responsable de la chaire de pharmacognosie qui fut impressionné par son engagement à poursuivre des études malgré le contexte très difficile durant la décennie noire, ses trois autres camarades ayant suspendu leur cursus. TimimounAlors qu’elle accompagnait sa sœur étudiante en architecture à Timimoun, dans un cadre professionnel, elle découvre une cité – l’oasis rouge qui la fascine et qui fut un coup de cœur. A cette époque, pour les habitants, l’installation d’une pharmacie était perçue comme une bénédiction au point où elle reçut une proposition de local bien situé et en juillet 1995 elle s’y installe comme officinale, une aventure qui durera quatre années.

Elle sillonna les oasis à fougaa et les ksours dont beaucoup sont encore occupés, formant autant de sites pittoresques, dispersés dans ce grand Erg Occidental et sur la vallée de la Saoura laquelle fut par le passé, une grande voie caravanière transaharienne faisant la liaison avec Gao au Mali. Cette aventure demeure gravée dans sa mémoire comme l’une des périodes les plus exceptionnelles de son riche parcours. Nefissa est impressionnée par les systèmes d’irrigation antiques les fougaa. Elle se remémore les étendards qui s’entrechoquent lors du festival des Sboue pendant le Rabie el Aouel.

Au sein de la population, on trouve les Zenètes qui sont bruns à bruns clairs, les chorfa qui sont des descendants du prophète, les Hartani à la peau noires qui se disent descendants de Bilal. A timimoun, lorsqu’un adolescent termine le Coran, une cérémonie est organisée en son honneur avec les vêtements traditionnels. Il est alors emmené en cortège vers sa mère et y déposera la tête sur les genoux de celle-ci dans un sublime tableau couvert de respect. Timimoun a été pour Nefissa son ‘big’ coup de cœur, elle y a rencontré des gens merveilleux grâce notamment à son activité de bénévolat en faveur des personnes nécessiteuses.

Dans cette région où l’amplitude thermique est très importante, elle développera le préparatoire avec une préparation phare la vaseline aromatisée à l’eau de rose comme protecteur contre le froid qui fut très appréciée par les femmes. Le Gourara est la région formée d’une centaine d’oasis entre le plateau du Tadmait et les dunes de sable du Grand Erg Occidental. Il est irrigué par un réseau de fougaa qui sont des galeries souterraines révélées en surface par les alignements de puits d’évent et d’évacuation des déblais. Ce réseau est alimenté par la nappe dite du Continental Intercalaire, improprement appelée albienne.

On y trouve le Touat avec Timimoun et ses Ksours au milieu, des populations qui parlent le berbère des Zenata, ou qui sont arabophones. A une coudée, se trouve la grotte d’Ighzer sur la route d’Adrar, qui offre une fraicheur inattendue en été faisant descendre la température de près de vingt degrés lorsqu’à l’extérieur, la chaleur atteint les 50°C. Elle sert de refuge aux habitants du ksar voisin qui viennent y faire leur sieste loin de la fournaise du jour. Les ziarates rythment la vie des habitants, qui lisent le Coran durant toute la nuit. On trouve dans toute la région du Touat jusqu’à Adrar, des bibliothèques riches d’un patrimoine culturel constitué de très nombreux manuscrits qui traitent du tassawuf , d’histoire, d’astronomie, d’exégèse, du fikh, de la sirat, divers actes, etc.

On ne peut évoquer le Sud sans citer la musique locale, dont le répertoire traditionnel que l’on appelle tagerrabt ou le ahellil, chanté par les femmes dans une musique polyphonique de tradition zénète dont le chant est pratiqué en cercle au milieu duquel se trouvent le soliste, le flûtiste et le joueur de tambour. Le Ahalil qui est un chant religieux dans sa version debout est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Sa version assise étant le Taguerabt. Après avoir quitté Timimoun, pour diverses raisons (santé, finance), elle se dirige en janvier 1999 vers une autre région du Sahara Illizi où elle exercera dans une pharmacie CNAS durant quatre mois. Retour sur AlgerNefissa Sola finit par rentrer sur Alger et exercera en qualité de directrice technique.

Sa passion du préparatoire lui fait rencontrer l’équipe officinale du forum du préparatoire dont Lilia Bentobal avec laquelle une relation humaine d’une rare qualité s’était tissée et qui nous a quittés depuis, Souad Naimi qui a été l’auteure du sublime abrégé de l’art du préparatoire édité en 2021, Akila Saib etc. Ce sera pour ce groupe, la porte d’entrée pour le salon international d’Alger le SIPHAL, où Yacine Louber commissaire du salon et Reda Chikhi, séduits par le dynamisme de l’équipe, les accueillent en leur offrant un stand de démonstration, pour exposer leur art aux nombreux visiteurs officinaux. Sola Nefissa s’y est beaucoup investie, donnant le meilleur d’elle-même via le partage de connaissances, ce fut pour elle une expérience professionnelle très valorisante.

Appréciée par ses collègues, Nefissa est élue en 2008 pour un mandat au sein du conseil de l’ordre des pharmaciens de la région de Blida qui était présidé à ce moment par Amel Moulai puis Ahmed Benfares. Membre de deux commissions discipline et déontologie, elle se souvient des cas traités de concurrence déloyale, de mésententes entre confrères. Membre d’une association humanitaire, elle vient en aide aux SDF (sans domicile fixe) sur Alger en leur apportant des repas et des couvertures. Elle a également participé à l’opération Ch’riba avec les anciens du TCBM (Tronc Commun BioMédical) pour les nécessiteux avec de nombreux collègues de la santé sur deux sites de récolte des dons pour la confection de repas hebdomadaires équilibrés et de paquets contenant des vêtements. L’équipe a aussi aménagé au niveau du service de pédiatrie qui accueille les enfants cancéreux, divers équipements comme des réfrigérateurs, des climatiseurs et une salle d’allaitement.

En 2006 elle lance à Bainem, sa gamme de préparation à base de plantes médicinales. C’est ainsi que Madame le professeur Karima Achour, chirurgienne chef de service au CHU de Bab El Oued, la sollicite pour la fourniture de préparations dermatologiques pour ses patients. Nefissa Sola adore Alger, son cœur et son âme y respirent intensément les ambiances populaires. Elle évoque avec passion la Casbah, qui reçut au 6e siècle av-J.C. un comptoir phénicien, puis carthaginois au 4e s. av-J.C., puis la cité traversa l’époque Ziride du 10e s. et devint Ottomane vers la fin du 16e s. Elle nous parle avec émotion de cet espace qui constitue un type unique de médina (ville islamique) classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1992 avec ses mosquées anciennes et le mausolée de Sidi Abderahmane devenu musée à côté des palais et du rempart, les maisons d’hôtes.

Des traditions culinaires ancestrales viennent embaumer de leurs arômes la Casbah, nous offrant les diverses ch’tatah, mthou’oum, rechta, etc. On y trouve le musée des enluminures, des miniatures et de la calligraphie abrité au sein du Palais Mustapha Pacha qui date du 18e siècle avec une vaste collection d’œuvres d’artistes algériens dont Mohamed Racim et son frère Omar, des artistes étrangers dont des japonais. Un peu plus loin le musée des arts traditionnels et populaires qui présente une multitude d’objets artisanaux dans le palais de Dar Khedaoudj el Amia qui date du 16e siècle. Nefissa précise que l’on ne peut citer la Casbah, ce haut lieu de la résistance à la colonisation, sans évoquer El Hadj El Anka le maître de la chanson chaabi.

Elle cite avec plaisir les différents artisans comme le pâtissier El Hadj Hamid spécialiste du kalbelouz, le torréfacteur, les dinandiers, les ébénistes, les ferronniers, les couturiers. Comment aussi évoquer la Casbah sans citer les deux équipes locales du Mouloudia—les verts et rouges et de l’USMA—les rouges et noirs, qui nous offrent des rencontres épiques, transcendant le jeu pour devenir des batailles empreintes de rivalités et d’histoire, telles les pages d’un roman passionnant écrites à chaque dribble, chaque passe, chaque tir au but et où les supporters sont les protagonistes de cette saga, donnant vie à une histoire qui dépasse les limites du terrain.

Dans son mot de la fin, Nefissa nous livre avoir rencontré tout au long de son parcours des gens exceptionnels dont la regrettée Lylia Bentobal avec laquelle une relation humaine hors du commun s’était tissée. Les quelques ingratitudes qui ont éclaboussé sa route, n’ont pas suffi à perturber sa ténacité, Nefissa reste très positive et reconnaissante de toutes ces personnes qui l’ont accompagnée notamment au cours de sa formation comme Messieurs les professeurs Balansard, Chemli et bien d’autres. Notre pharmacienne phytothérapeute n’hésite pas à partager sur les réseaux sociaux ses acquisitions et répond toujours en professionnelle aux questions de ses consoeurs et confrères.