Portrait de pharmacienne : Samira Bendedouch d’Oran, « L’aperçu d’un long parcours, un récit livré en toute humilité, »

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Portrait de pharmacienne : Samira Bendedouch d’Oran, « L’aperçu d’un long parcours, un récit livré en toute humilité, »

Si ses parents sont tlemcéniens, Samira Bendedouch, a vécu à Sidi Belabbes jusqu’à l’âge de huit ans avant de retrouver pour le reste de son parcours, Oran El Bahia, la ville de son enfance. Elle y vivra le reste de son parcours, avec un passage à Alger durant ses études universitaires où se trouvait la seule faculté de pharmacie du pays. Son parcours scolaire s’est fait durant la colonisation du pays, où la famille Bendedouch suivait les affectations du père, secrétaire de justice. Les vacances estivales n’étaient pas encore ancrées dans les traditions, avec cependant de rares sorties en autocar vers ‘la mer Blanche’ en référence à la couleur claire que prend la Méditerranée sous la lumière du soleil. Aussi, parmi les loisirs dont elle disposait à cette époque, pour une jeune fille de son âge, lorsque les obligations ménagères étaient accomplies, figurait la lecture, notamment durant l’été, où les livres, souvent d’auteurs américains et anglais, s’échangeaient entre amies.

Plus tard, sa passion pour la lecture lui fera découvrir de formidables auteurs algériens. Samira a eu cependant la chance de pouvoir s’inscrire au conservatoire d’Oran, où elle s’initia au solfège, puis au piano sur des partitions de musique classique. Sa culture tlemcénienne l’amènera, par la suite, à savourer la musique andalouse et ses subtilités. Une sensibilité qui lui fera inscrire sa fille au niveau de l’association culturelle et de musique traditionnelle Nassim El-Andalous d’Oran, une école de musique andalouse où on retrouve parmi les membres fondateurs Dr Yahia et Belkacem Ghoul. Elle vivra enfant, les affres de la guerre d’Algérie durant le colonialisme qui faisait subir les pires traitements à la population dite ‘indigène’. Même si les parents qui souffraient de l’injustice de l’occupant, étaient réservés sur le sujet, la jeune Samira percevait cette ségrégation avec une forme d’injustice. Cette perception s’intensifiait lorsqu’elle se rendait avec sa famille à Tlemcen. Elle entrait dans une ville, avec des fils barbelés disséminés partout dans la cité antique, accentuant le contraste avec la région d’Oran, une ville qui comptait de nombreux Européens.

A ce moment, la capitale Zianide était quadrillée par les militaires de l’armée coloniale, qui procédaient à des fouilles fréquentes des Algériens. Le cauchemar ne s’arrêtait pas là. Les séjours de notre jeune enfant se faisaient au rythme des incursions de ces militaires, qui se faisaient souvent par les terrasses du quartier d’El Qalaa aux habitations typiques et mitoyennes qui communiquaient par les terrasses. Les soldats transgressaient la sacralité des demeures de ces familles, pour procéder à des fouilles aussi barbares que leurs auteurs. Les hommes étaient plaqués au mur, les bras tendus, impuissants face aux pistolets-mitrailleurs MAT 49 et autres armes à feu. Samira Bendedouch, actuellement en retraite, nous en reparlera comme « d’une terreur perpétuelle vécue« . A la veille de l’indépendance, Samira se souvient de l’atmosphère insurrectionnelle qui régnait dans le collège d’Oran qui venait d’être envahi par des jeunes colons surexcités partisans de l’Algérie française qui scandaient des slogans dans une ambiance menaçante. La directrice s’était interposée pour protéger ses jeunes élèves algériennes de cette masse hystérique.

Son père, qui avait été la cible de l’OAS (Organisation armée secrète coloniale), avait dû mettre sa famille en sécurité à Tlemcen, où les Européens étaient moins nombreux. Ses parents, soucieux de préserver la scolarisation de Samira, l’inscrivirent à Tlemcen alors que leur sort les avait contraints à s’expatrier momentanément au Maroc. Pour elle, le concept de ‘bienfaits de la colonisation’, reflète en réalité une volonté d’annihiler la culture des Algériens pour leur imposer un modèle étranger. Ainsi, on devine la douleur de Samira qui s’est vue imposer par l’occupant, une langue qui n’était pas la sienne. Elle regrette de ne pas avoir pu apprendre la langue de ses ancêtres au cours de sa scolarité, une langue riche et majestueuse à la calligraphie artistique, gardienne d’une immense littérature. La langue scientifique, philosophique et poétique de l’âge d’or islamique. Une langue d’une rare splendeur, capable d’exprimer avec élégance, les émotions dans leurs multiples nuances.

Avec beaucoup de ténacité, pour s’approprier la langue arabe, elle s’inscrira pour suivre des cours avec les difficultés cognitives que ne rencontrent pas les jeunes enfants. Samira a également été affectée par le contenu des programmes d’histoire imposés qui n’avaient rien à voir avec sa propre histoire et celle de ses ancêtres, réduisant à néant, une civilisation millénaire, faisant croire aux enfants algériens, qu’ils sortaient du néant. Plus tard, notre pharmacienne, à la recherche de son identité mue par la volonté de savoir, se plonge dans la lecture de l’histoire de son pays qu’elle découvre enfin dans toute sa splendeur, à travers les nombreux ouvrages publiés. Elle découvre un passé qui remonte à la préhistoire à travers les nombreux sites archéologiques, traversant le temps avec les diverses civilisations, dont l’époque numide avec ses héros qui ont combattu les envahisseurs. Puis ont succédé les siècles des lumières islamiques avec leurs splendeurs produisant une effervescence remarquable dans les domaines de la culture, des sciences et de l’économie à l’époque médiévale, à un moment où l’Europe était soumise à une fragmentation politique importante et à des disparités économiques et sociales.

Elle découvre avec une certaine fierté, les civilisations Almoravides, Almohades puis celle des Zianides dont la capitale Tlemcen était surnommée la ‘Perle du Maghreb’ avec son université la médersa Tachfinia fondée en 1320 qui attirait des étudiants de nombreux pays et où l’on enseignait l’astronomie, les mathématiques, la médecine, le droit et la théologie. Les artisans tlemcéniens étaient réputés pour leur maîtrise des bijoux, des tapis et de la céramique ou mosaïque de faïence connue sous le nom de zellige ou zellaij formant de magnifiques décors que l’on retrouve dans le palais du Mechouar et certaines mosquées du 13e siècle de Tlemcen. Samira évoque la généalogie de sa mère, au nom qui résonne le Bosphore avec des origines qui remontent à Canakale, à proximité de la mythique Troie sur le site de l’actuelle Hisarlik au sud d’Istanbul. Lorsqu’elle quitte Sidi Bel Abbes à huit ans pour rejoindre Oran avec ses parents, elle poursuivra sa scolarité jusqu’au baccalauréat math Elem qu’elle obtient en 1967. Son choix universitaire se fait alors vers la pharmacie, selon les recommandations familiales, probablement appuyées par un cousin pharmacien en exercice à Oran, chez lequel elle réalisera plus tard, divers stages pratiques au cours de son cursus.

C’est donc à la Fac d’Alger qu’elle se rendra, seule université du pays qui formait les pharmaciens. Ce sera pour elle un parcours universitaire passionnant réalisé entre 1967 et 1971 qu’elle ne regrettera pas.

Samira, étudiante assez timide, était camarade de promotion de S’Oad Abbas Hamrour ancienne présidente du SNAPO, Mohamed Mansouri Benslimane ancien directeur du LNCPP, Abdellah Serrar (Batna), Kamal Kezzal (professeur en microbiologie), Barkahoum Alamir directrice du CNT, Waffia Akkache, Farid Benhamdine (SAP) et bien d’autres. Elle obtient son diplôme en 1971. Souhaitant rejoindre le secteur de l’industrie pharma, elle sera recrutée à l’unité PHARMAL BIOTIC. Quelque temps plus tard, le directeur, M. Lemkani, dans l’esprit du renforcement des compétences de ses cadres pharmaciens, leur proposa une formation à l’étranger dans le secteur industriel. Samira Bendeddouch ne pouvant suivre cette formation, dut démissionner. Elle rejoint alors l’Institut Pasteur d’Alger qui avait déjà fait appel à elle, notamment en raison de ses performances en bactériologie. Elle y restera une quinzaine d’années, suivant en parallèle les cours de l’Institut où elle obtiendra les CES biochimie, hématologie, immunologie, parasitologie, bactériologie. Elle obtient son DEMS en 1979, et devient l’une des premières spécialistes de santé publique assumant également des fonctions d’enseignement.

L’affectation à Oran en 1986 de son mari, fonctionnaire dans une grande entreprise publique, fut l’ occasion pour elle de rejoindre le laboratoire d’immunologie et de bactériologie de l’hôpital pédiatrique de la ville pour quatre années au cours desquelles elle poursuivra son rôle d’enseignante de parasitologie à la fac de pharmacie d’Oran. Une nouvelle affectation de son époux, l’amène de retour à Alger, où elle sera recrutée à l’hôpital de Kouba flambant neuf et y restera jusqu’en 1991, année de son installation en libéral à Misserghine dans la wilaya d’Oran. Elle nous confie que si le laboratoire lui manquait en tant que biologiste, ce fut cependant une belle expérience de contacts humains avec les patients, qui portaient beaucoup de considération aux blouses blanches. Lors de son installation en 1991, elle rejoindra l’UPO – l’Union des Pharmaciens de l’Ouest, avec parmi les fondateurs messieurs Brachni, Bejaoui et Menouar qui inviteront Samira à intégrer le bureau où elle sera élue présidente. Madame Bendedouch évoque les bilans de l’UPO de 1996 à 1998 qui mentionnent les actions réalisées. On y retrouve les dossiers des impôts, le non-respect des installations, la propriété de l’officine, le monopole des produits biologiques, la vente des produits vétérinaires en officine, les vignettes non conformes envoyées par rouleaux par les PHARM, les produits retirés, la discrimination dans la distribution des médicaments par les PHARM, entre le secteur privé et le secteur étatique, la non-application de la marge de 33 % par l’Institut Pasteur.

L’UPO avait aussi élaboré un plaidoyer pour la mise en place du 1er conseil de l’ordre des pharmaciens, après sa dissolution et participa à l’organisation des premières élections. En 1996, elle est invitée par S’Oad Hamrour Abbas, sa camarade de promotion, à participer à la fondation du SNAPO et elle contribuera à l’installation des bureaux de l’Ouest du pays. Son constat sur la profession est corrélé à l’évolution de la société algérienne, avec cependant et heureusement des pharmaciens consciencieux qui font honneur à la pharmacie. Elle rejoint l’hypothèse selon laquelle la profession est victime de son modèle économique, où les revenus sont indexés uniquement sur des opérations commerciales. Elle est favorable à une évolution qui intégrerait un modèle hybride avec des revenus sur les prestations offertes par les officinaux et pris en charge par la sécurité sociale, notamment dans le cadre des services liés à la santé de la nouvelle loi santé.

En 2014, Samira Bendeddouch décide de se plonger dans les beaux-arts en s’inscrivant au cours dédié à la peinture, dans une sympathique ambiance entre amies. Leur encadreur laisse libre champ à leur expression artistique, sans les insérer dans un courant quelconque. Elle se retrouve dans un atelier baigné par l’odeur de la peinture fraîche, face à un chevalet sur lequel est posée une toile, prête à recevoir le fruit de ses sensibilités, sans limite ni contrainte. Cette liberté d’expression sans filtre, qui lui a ouvert les portes de sa propre exploration, l’a amenée à réaliser de nombreuses peintures. Son talent a été mis en valeur par le bureau local du SNAPO, qui l’avait invitée à exposer lors d’une journée syndicale. Une de ses œuvres avait été retenue pour être offerte à une personnalité du CNES  – Conseil National Economique et Social, présente lors de l’événement.

Voici un aperçu du long et riche parcours de Samira Bendedouch, qui nous a été livré avec beaucoup d’humilité.

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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