Portrait de pharmacien, Ahmed ZERROUKI de Sigus (W. Oum El Bouaghi) : « L’acte pharmaceutique débute avec la psychologie des patients »

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Portrait de pharmacien, Ahmed ZERROUKI de Sigus (W. Oum El Bouaghi) : « L’acte pharmaceutique débute avec la psychologie des patients »

Nous nous rendons ce mois-ci dans l’antique Sigus de la wilaya de Oum El Bouaghi à la rencontre de Ahmed Zerrouki, pharmacien installé depuis 2000. Il y suit sa scolarité   et rejoint le lycée d’Oum El Bouaghi pour le secondaire, avec la particularité d’avoir suivi la filière technique en finissant major de promo, ce qui lui a valu une réorientation vers la très difficile filière maths techniques. Il y obtient son bac, puis passe le concours de l’école nationale paramédicale où il est reçu. En parallèle, il tente sa chance, mu par une extraordinaire volonté et une grande ténacité, et s’inscrit en candidat libre dans la formation à distance pour repasser son bac, dans l’espoir d’obtenir une meilleure note et d’élargir son choix de filières universitaires possibles.

Brève histoire de Sigus

Ahmed Zerrouki nous parle de sa région dans laquelle on y trouve de nombreuses ruines de différentes époques, avec une nécropole mégalithique composée de menhirs, de dolmens, de cromlechs formant des monuments funéraires numides, classés au patrimoine national. On y dénombre plus de 1 200 vestiges, avec des sépultures très rares; chacun de ces tombeaux renfermerait en moyenne quatre corps d’après les archéologues. Sensible à la protection du patrimoine national, Ahmed Zerrouki, jeune lycéen, rejoint l’association Jugurtha et s’active à travers des plans d’action pour la valorisation des sites historiques de Sigus, menacés par l’extension urbaine. Côté agricole,  sa région est le principal fournisseur de céréales de toute la wilaya d’Oum El Bouaghi.

Enfance

Son père, qui participa à la lutte contre le colonialisme, lui rapportait régulièrement les récits des héros de la guerre d’indépendance. Durant son adolescence, Ahmed découvre à travers les Scouts Musulmans d’Algérie (SMA), une véritable école de patriotisme. Il y décortiquera le contenu et le sens des chants patriotiques qu’il apprend, ces chants qui avaient entretenu la flamme nationaliste de toute une génération et qui illustrent les récits de son père pour éveiller, chez notre jeune homme, la conscience nationale. Il participait aux veillées autour du feu de bois, où était rapportée l’histoire de l’Algérie, et la continuité des nombreuses résistances du peuple algérien face à l’envahisseur depuis l’antiquité jusqu’à la guerre de libération nationale, développant chez lui une dignité et une fierté. Il deviendra chef de groupe et encadrera les plus jeunes, participant aux diverses activités dont  les randonnées, le sport et les formations multidisciplinaires (informatique, histoire, géographie, visites, etc.). Durant son parcours universitaire, il donnera à ses jeunes scouts, des cours de maths, de physique et de chimie et en réalisera un recueil avec des exercices qui sera diffusé pendant longtemps auprès des futurs bacheliers.  Créé en 1935 par Mohamed Bouras, le SMA donna, par l’éveil de la conscience nationale, de nombreux leaders et combattants pour l’indépendance de l’Algérie.

C’est dans ce cadre que Ahmed Zerrouki a évolué de l’insouciance de l’enfance à la prise de conscience de l’adolescence, puis plus tard, il développera la conscience politique qui l’a amené à s’engager sur la voie des élections parlementaires. Il a entretenu cette sensibilité politique, à la lumière des livres d’histoire évoquant les héros de la révolution qu’il continue d’admirer. Ahmed est comme de nombreux compatriotes, un passionné de foot. A la moindre occasion, il se retrouvait avec ses camarades driblant sur toutes les surfaces existantes, défiant les risques de blessures, portés par une énergie qui leur donnait l’impression qu’ils touchaient à peine le sol. Les changements de filières qu’il opéra, lui permirent de capitaliser autant d’expériences, forgeant sa vision des questions professionnelles et humaines comme la révolte sociale du 5 octobre 1988, qui marqua tout le pays.  Son fils aîné qui suivra comme lui, la filière pharmacie fait la fierté de son père, bénéficiera de la grande expertise de son géniteur.

Université

Son second bac acquis en 1992, il rejoint le département de médecine pour un bref passage suite à un concours de circonstances, avant de se réorienter vers le département de pharmacie à Constantine pour lequel il avait reçu des échos forts favorables sur la qualité de l’enseignement. Dès le début du cycle, son engagement pour la défense des étudiants est remarqué par ses camarades qui lui accordent leur confiance et l’élisent délégué de promotion. Il mettra en place avec son équipe, diverses activités sportives et culturelles, dans le souci d’améliorer la vie des étudiants. Au printemps 1997, alors qu’il est en 5e et dernière année, une réunion de l’ensemble des délégués de promotion est organisée, suite à une décision administrative qui prévoit d’annuler les synthèses, une décision qui risquait de bouleverser le bon déroulement des examens. Ahmed fut le seul représentant de la lignée des fils d’Adam. Avec ses camarades, ils choisirent d’associer les autres filières médicales de médecine et de chirurgie dentaire pour lancer un mouvement de protestation de plus grande envergure. Les contacts avaient été pris avec la presse locale écrite et audiovisuelle à Constantine pour expliquer les raisons de leur action. Dans cette lancée, Ahmed et son équipe organisèrent une très grande Assemblée Générale des étudiants avec les responsables des départements au niveau de la Casbah de Constantine. Les débats, parfois houleux, qui suivirent, étaient appuyés par les revendications somme toute légitimes. Il lui arrive de revivre ces évènements en lisant les articles découpés dans les journaux publiés à ce moment, qu’il a conservés dans ses archives. Il aura son diplôme en novembre 1997.

Parcours professionnel

Le diplôme en poche, commence une autre épopée. Notre jeune pharmacien sillonne la région durant plusieurs mois à la recherche d’un emploi sans succès. Il décide alors de partir prospecter en Tunisie et en Libye. Il se heurte à un environnement qui ne lui convient pas et sur le chemin du retour, s’arrête à Tebessa où il trouve un poste de directeur technique dans une grossisterie, fonction qu’il occupera durant trois mois  jusqu’à l’arrivée de son ordre d’appel sous les drapeaux. Il passe alors par l’Ecole de la Santé Militaire de Sidi Bel Abbes, puis il sera affecté à Ouargla pour finir à l’hôpital régional militaire. En 2000, libéré de ses obligations, il s’installe à Sigus dans un endroit qu’il occupe à ce jour, 24 années plus tard. A ses débuts, il était seul à réaliser toutes les tâches de l’officine. Ses relations avec les malades, qui furent construites autour de la qualité des services qu’il leur offrait, lui permirent d’être valorisé et d’en ressentir une grande satisfaction professionnelle et humaine. Puis il recruta progressivement du personnel qu’il se faisait un point d’honneur à former sur les bonnes pratiques. Il a ainsi mis en place une équipe officinale selon ses objectifs, n’hésitant pas à se faire seconder par des pharmaciennes assistantes pour assurer le suivi de la qualité des services pharmaceutiques. Sa disponibilité et ses compétences étaient très appréciées par la population de Sigus et des environs, notamment grâce aux compétences acquises lors de son passage à l’Ecole Para Médicale, dépassant le cadre purement commercial d’achat et de revente de l’activité officinale contemporaine. Il a également construit de solides relations professionnelles avec les prescripteurs en insistant sur la nécessaire collaboration pour le bien-être des malades.

Cependant, face à la résistance que développaient certains d’entre eux à l’égard des médicaments génériques, Ahmed Zerrouki déploya son arsenal scientifique pour expliquer les enjeux tant médicaux qu’économiques des génériques, et leur intérêt pour notre autosuffisance en produits pharmaceutiques dans un secteur où on ne lésine pas sur la qualité des produits. Fort de l’excellente formation à l’université de Constantine et de son passage à l’Hôpital Militaire, Ahmed Zerrouki avait investi dans l’équipement d’un laboratoire de  biologie, le cadre réglementaire le lui permettant. Il dut par la suite, lors de la publication de la nouvelle loi santé, abandonner avec regret cette activité, qui pour lui, appuyait la noblesse du métier de pharmacien d’officine. Ce fut lourd de conséquences car les patients durent parcourir de longues distances pour se rendre à Constantine ou au Khroub pour réaliser les examens les plus banals. S’ils étaient quatre officines au début à Sigus, ils sont actuellement huit officines pour une population de 22.000 habitants, largement en dessous du numerus clausus de 1 officine pour 5.000 habitants. Sa pharmacie recevait régulièrement les étudiants dans le cadre des stages qu’il s’efforçait d’encadrer de la meilleure des manières. Pour Ahmed Zerrouki, la couverture pharmaceutique couvre largement et géographiquement, l’ensemble de la population.

Engagement politique

Ahmed Zerrouki nous rappelle que son imprégnation politique a été influencée par l’engagement de son père dans la guerre de libération nationale et des récits qu’il lui a transmis, ainsi que l’histoire des vaillants chouhada et moudjahidines. Il s’est mis en tête de participer à sa manière, au développement du pays, pour honorer la mémoire de toutes ces personnes, engagées en toute abnégation. Il note que le sentiment politique national est perceptible dans les discussions quotidiennes, dans de nombreux endroits, lui permettant d’entretenir un espoir certain. Il avait été approché par les leaders politiques locaux avec lesquels, parfois, des débats de haut niveau étaient engagés, sur de nombreuses questions sociales, de santé, d’éducation, de justice, de jeunesse et bien d’autres. Les élus locaux l’ont aussi sollicité pour qu’il rejoigne leurs rangs. Souhaitant concrétiser son projet, il finit par se présenter aux élections législatives en 2021. Malgré des délais trop courts, sa campagne électorale, ponctuée par de nombreux meetings auprès de la population, ses capacités à l’écoute des préoccupations et sa sincérité, lui ont valu d’avoir obtenu le meilleur score dans sa région, mais malheureusement, il fut insuffisant au niveau de la wilaya pour obtenir un siège à l’APN. Il estime que ces contacts avec la population, furent très bénéfiques, car il s’est retrouvé proche des réalités vécues par ses concitoyens.

Pour conclure, Ahmed Zerrouki n’hésite pas à ajouter qu’il faut bannir les approches négatives, condamner l’opportunisme et être positif si l’on souhaite contribuer efficacement au développement du pays.

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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