Portrait de pharmacien : Mohammed FARTAS de Ghardaia, notre rôle est de soulager la souffrance des patients

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Portrait de pharmacien : Mohammed FARTAS de Ghardaia, notre rôle est de soulager la souffrance des patients

Mohammed FARTAS, pharmacien

Nous avons plaisir à partager avec vous le bulletin du pharmacien de février 2024, N°076

Au sommaire :

  • Prévention des risques de violences et d’agression en officine
  • Bioéquivalence : Le premier centre EQUIVAL en Algérie
  • Portrait de pharmacien : Mohammed Fartas, doyen des pharmaciens de Ghardaia, « Notre rôle est de soulager la souffrance des malades »

Nous vous en souhaitons une bonne lecture

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Entretien avec  Mohammed FARTAS pharmacien à Ghardaia

Mohammed Fartas est notre personnalité en ce mois de février 2024. Il est né le 31 juillet  1942 à Beni Isguen, dans le M’Zab. C’est l’un des 5 ksours de la pentapole de Ghardaia fondée au XIe siècle par les Ibadites et classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Les historiens évoquent la présence de cités bien avant cette période, habitées par des berbères apparentés aux zénètes selon Ibn Khaldoun. Chaque ksour, construit sur une colline comporte sur la partie la plus élevée, une mosquée où s’érige un minaret caractéristique, autour duquel s’est urbanisée en rues étroites la cité formant des cercles concentriques épousant le relief jusqu’à l’oued M’Zab en contrebas. Ainsi El Atteuf (1001), Bounoura (1048), Beni Isguen, Ghardaia, Melika (1053), forment jusqu’à notre époque, une leçon d’architecture sobre, fonctionnelle pour les plus grands noms internationaux de la spécialité qui se rendaient à l’atelier spécialisé mis en place consacré à l’étude de ces cités. L’extension de la pentapole s’est faite avec deux autres villes excentrées : Guerrara et Beriane (1651).  

A ce titre, Mohammed Fartas cite l’un de ses confrères pharmacien, Ahmed Nouh, devenu promoteur de la célèbre cité Tafilelt. Elle a été construite dans une approche humaniste sur des normes respectueuses de l’environnement, sur un terrain rocheux pour préserver l’écosystème très fragile des oasis. Le projet a placé l’homme au cœur de son action par le compter sur soi et la Touiza (bénévolat d’intérêt général), qui sont deux valeurs ancestrales de la région du M’Zab. En 2014, elle reçoit le prix pour l’environnement décerné par la Ligue arabe et en 2016, celui de la ville durable lors de la COP 22 à Marrakech.

L’histoire du M’Zab compte de très nombreux érudits  comme le Cheikh Ammi Said (XVIe) venu de Djerba qui réorganisa la vie dans le M’Zab. Il y eut le Cheikh Tfayech (1818-1914) féru de lecture et d’écriture, on raconte qu’il ne se séparait jamais de sa plume, entretenant des relations épistolaires avec le Cheikh Mohamed Abdû. Fort d’un savoir encyclopédique, il fut une référence du patrimoine ibadite contemporain. Mohammed nous cite également le Cheikh Abu El Iqban, écrivain journaliste militant pour la cause nationale, le poète de la révolution Moufdi Zakaria, parolier de Qassaman l’hymne national, le Cheikh Bayoud (1899-) qui s’opposa au général De Gaulle lequel voulu procéder à la partition du Sud algérien. Dans un trop court article, il est impossible d’évoquer l’ensemble des grands hommes et savants musulmans Ibadites et encore moins leurs productions religieuses et intellectuelles, tant elles sont nombreuses. Mohammed Fartas ajoute que ces trésors restent cependant accessibles aux académiciens dans les nombreuses bibliothèques privées de la pentapole.

Mohammed, fils d’un employé de commerce, a suivi durant sa jeunesse, les déplacements de son père tracés au gré des emplois qu’il a occupés sillonnant les wilayas du pays. Son parcours a très tôt été tissé d’une multitude de rencontres fournissant autant d’expériences enrichissantes, reflétant la diversité des lieux traversés. Ces voyages débutent dans l’insouciance du jeune enfant à l’école primaire d’Annaba à la fin des années 40, un cycle qu’il terminera à Soukh Ahras, la région d’Apulée et de Saint Augustin. Dans la continuité de cette lancée, le jeune Mohammed abordera le secondaire à l’école Tirman de Blida où il passera en 1953, son examen de 6e au lycée Duveyrier (centre d’examens qui fut collège jusqu’en 1949). Dans cette école, qui reçut en majorité des Algériens, Mohammed rend hommage à ses enseignants qui ont su sensibiliser leurs élèves sur la nécessité de réussir leurs études à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale. Il retournera alors au groupe scolaire de Soukh Ahras jusqu’en 3e où il obtient, en 1957, le précieux BEPC, (Brevet d’Etudes du Premier Cycle) aujourd’hui disparu, marquant les heures passées derrière les pupitres de l’école communale. Ce brevet donnait à cette époque, la possibilité de poursuivre les cycles ultérieurs. Le périple se poursuit comme interne au Lycée Saint Augustin de Annaba, où en juin 1960, il décroche son bac Math Elem dans une configuration ethnique où coexistaient 2 groupes distincts : le groupe des Algériens et celui des Européens. L’internat, riche des diversités régionales de ses élèves, fut l’occasion pour le jeune Mohammed de lier de chaleureuses amitiés. Il se remémore son enseignant de musique, un Européen féru de musique classique orientale qui leur faisait découvrir de grands artistes comme Abdelhalim Hafez (عبد الحليم حافظ).  Tout au long de ce parcours, il a toujours suivi en parallèle la médersa coranique tout comme l’ensemble des jeunes algériens de cette époque, où il eut comme enseignant, l’un des plus grand cheikh d’El Azzaba de Beni Izguen, décédé depuis. 

Université

Le choix de la filière pharma pour Mohammed, c’est fait avec l’appui du BUS (Bureau Universitaire des Statistiques) qui aidait les bacheliers à choisir les filières universitaires. A Annaba, les étudiants souhaitant suivre la filière pharma, avaient la possibilité de se rendre à la faculté de Montpellier. Malgré un dossier accepté, Mohammed n’a pas pu s’y rendre pour des raisons financières. Il a été recruté par l’éducation nationale comme instructeur (1960-1961), et s’est retrouvé enseignant au groupe scolaire de Annaba. A l’indépendance en 1962, il est enrôlé dans l’ALN et Mohammed se retrouve à Touggourt. C’est en septembre 1962 qu’il finit par s’inscrire à la faculté mixte de médecine et de pharmacie d’Alger, tout en étant employé comme maître d’internat au lycée technique de Dellys. Le cursus de pharmacie débutait par un stage obligatoire en officine, qu’il réalisa dans cette localité au sein de la pharmacie Zamout, un Européen d’origine maltaise. Il termine son cursus à Alger et obtient son diplôme de pharmacien en 1970. Il part effectuer son service national, d’abord à l’école interarmes de Cherchell puis à Oran à la pharmacie de l’hôpital militaire, puis  au laboratoire de l’hôpital civil de Bechar où il était le seul pharmacien. Parmi ses camarades de promotion on retrouve Belloucif d’El Harrach, et parmi ses enseignants les professeurs Ali Gherib (chimie thérapeutique), Lahouari Abed (pharmacognosie), Salhi (chimie), Boukheloua, Rocques (botanique), etc.

Parcours professionnel

En 1972 le service national terminé, il se rend en France pour y passer quelques mois au laboratoire de l’hôpital de Mulhouse puis à l’hôpital Paul Brousse de Paris. De retour en avril 1975 après avoir obtenu son agrément ministériel, il s’installe en libéral et ouvre son officine à Ghardaia. Ce fut la seconde officine de Ghardaia après celle du regretté Bassa Salah, membre fondateur de l’UMA. En plus de la dispensation, Mohammed réalisait dans son officine les examens biologiques, ainsi que le préparatoire avec les sirops, les pommades, les antiseptiques, etc. Il consacrait chaque matinée, à la formation continue de son personnel, soucieux de s’entourer de collaborateurs compétents. Ses relations avec les médecins étaient excellentes, avec de nombreux échanges rencontres avec la famille médicale réunie autour de l’UMA l’Union Médicale Algérienne. Le service civil étant obligatoire, Mohammed dut enseigner en parallèle à Ouargla (200km) au niveau de l’école paramédicale où il s’y rendait une fois par semaine.  

Du haut de ses 81 printemps, ceux qui furent jadis ses patients sont devenus des adultes qui lui témoignent reconnaissance et fidélité à ce jour. Il bénéficiait d’une grande considération de la part de la population qui voyait en cet homme en blanc, un précieux conseiller santé, attentif à leurs préoccupations.

C’est le souci d’offrir des soins et des remèdes à ceux qui souffraient, qui l’a poussé à s’engager dans la pharmacie.

Depuis, Mohammed a relevé deux difficultés majeures au sein de la profession : d’une part la difficulté d’acquérir les médicaments dans un contexte de pénurie, d’autre part l’impossibilité d’accéder à la demande des patients. A cela s’ajoute le manque de formation du personnel des officines avec l’apparition ‘d’écoles’ qui proposent des formations de 2 ou 3 mois en faisant miroiter aux jeunes apprenants, des perspectives professionnelles.

Durant les années 90, il initiait avec ses collègues des réunions pour la mise en place d’un syndicat qui défendrait les intérêts des pharmaciens. Ainsi, en membre fondateur, il intègre le bureau provisoire du SNAPO aux côtés du regretté Abderrahim Zemmouchi, Amor Mehri, Hakima Rezkallah Nouar, Bouabcha, Habiba Loucif Scandrani, Lamoudi Samia et Kiared Bachir. Cela avait abouti en 1996 à Alger, à l’AG constitutive du SNAPO. Dans cette lancée, il participa à la réactivation du conseil de l’ordre au sein duquel il sera élu dans sa région de Ghardaia, puis au sein du Bureau National en qualité de trésorier national en 1998. Il était animé avec ses camarades d’une sorte de ferveur et d’enthousiasme pour organiser et réguler la profession au sein de laquelle des non-professionnels s’étaient introduits.  

La pharmacie a suivi une évolution avec au départ une véritable dispensation du médicament vers un exercice plus compliqué intégrant notamment les tâches administratives liées au conventionnement. Le modèle économique de l’officine a évolué d’une marge commerciale confortable qui permettait l’exercice éthique vers une marge actuelle très insuffisante qui a contribué à ouvrir la porte aux dépassements. La loi santé 2018 offre des perspectives intéressantes avec les services liés à la santé qui peuvent prétendre à une rémunération de l’acte pharmaceutique comme acte professionnel. Actuellement, les conseils et suivis des patients se font gratuitement en officine, il n’est pas tarifé et on peut envisager une telle solution à la lumière de l’article 179 de cette loi santé avec des actes pharmaceutiques identifiés comme la prise de médicaments en officine, la vaccination, le suivi des patients malades chroniques, la réalisation de tests d’orientation diagnostic, etc.

Les groupements de pharmaciens sont en première ligne pour accompagner les pharmaciens dans la réalisation de ces actes pharmaceutiques. Il faudrait œuvrer dans ce sens et inciter les pharmaciens à rejoindre les groupements.

Notre rôle étant de soulager la souffrance des malades en leur fournissant les éléments adaptés qui leur assureront une bonne observance. Maintenir une relation de confiance et améliorer l’accessibilité aux médicaments innovants, notamment au moment où les anticancéreux seront de plus en plus disponibles dans les officines. Mohammed invite les officinaux à entretenir leurs connaissances avec le développement professionnel continu au bénéfice des malades.     

Tourisme   

Ghardaia possède sa palmeraie avec de multiples variétés de dattes, autour d’une agriculture saharienne étagée, des arbres fruitiers plus petits aux pieds desquels des cultures maraîchères sont entretenues. L’artisanat se fait autour du cuir, de la poterie et du tapis qui donne l’occasion de célébrer la fête annuelle du tapis qui est un rendez-vous incontournable. Le tapis est réalisé grâce au savoir faire et à la dextérité des tisserandes à partir de laine de mouton sur métier à tisser. La plupart des teintures sont naturelles et leur fabrication est issue de savoirs ancestraux formant un patrimoine culturel immatériel. L’artisanat du cuivre a presque disparu faute d’accessibilité à la matière première. Quant à l’industrie locale, elle dispose d’un secteur privé présent en force ayant investi essentiellement dans l’industrie agroalimentaire, la sidérurgie, la transformation du plastique, du verre, du bois et du papier, du textile avec un secteur chimie pour les peintures et batteries. De grands complexes y sont installés, comme celui de la fabrication de pipelines. Ghardaia qui est de renommée mondiale, offre de nombreux sites à visiter. Elle est aussi une escale pour les départs vers le Grand Sud. Elle dispose d’infrastructures hôtelières, de magnifiques maisons d’hôtes au milieu de palmeraies, de campings,  qui attirent des visiteurs nationaux et étrangers. Grâce à ses 11 zones humides artificielles, s’est développé l’écotourisme. Les professionnels de la Conservation des forêts ont pu recenser 27 espèces avifaunes migratrices comme la tadorne casarca, la sarcelle d’hiver, le canard souchet, le canard pilet, la Gallinule poule d’eau, le Foulque macroule pour un effectif en hausse estimé à 5 454 oiseaux en 2023.

Mohammed Fartas, le pharmacien ambassadeur de sa région, conclut avec « notre rôle est de soulager la souffrance des malades en leur fournissant les éléments adaptés pour leur assurer une bonne observance des traitements ». Il insiste sur la nécessité de maintenir une relation de confiance et sur l’amélioration de l’accessibilité aux médicaments innovants, notamment au moment où les anticancéreux seront de plus en plus disponibles dans les officines. Pour terminer, Mohammed invite les officinaux à entretenir leurs connaissances avec le développement professionnel continu (DPC) au bénéfice des malades.


Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
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