Portrait de pharmacien, Djamel Eddine HASSAINE doyen de Tlemcen : ‘le destin social faisait corps avec le destin scolaire’ 1ère partie

Home / Articles / Portrait de pharmacien, Djamel Eddine HASSAINE doyen de Tlemcen : ‘le destin social faisait corps avec le destin scolaire’ 1ère partie

Portrait de pharmacien, Djamel Eddine HASSAINE doyen de Tlemcen : ‘le destin social faisait corps avec le destin scolaire’ 1ère partie

Tlemcen, capitale du royaume des Zianides, la Grenade Africaine, c’est là que nous retrouvons Djamel Eddine HASSAINE, pharmacien depuis 1967. Il y fait ses premiers pas scolaires de 1948 à 1953, année de son passage en 6e au collège de Slane dans une ville où, depuis son invasion, le colonisateur n’avait pas jugé utile d’y construire un lycée. Les nombreux souvenirs qu’il en garde correspondent à ceux du déclenchement de la révolution contre l’occupant, avec une fibre patriotique qui s’est vite développée : des camarades perdront plus tard la vie en martyr sur le champ d’honneur.

Dans cet établissement de l’éducation, fréquenté par les deux communautés nationale et européenne, la réussite scolaire était déterminante pour les élèves et les familles algériennes qui s’étaient mobilisées pour appuyer à leur manière la lutte de libération nationale : le destin social faisait corps avec le destin scolaire. Djamel-Eddine Hassaine qui venait d’avoir son BEPC (brevet), décrochera en 1961 le baccalauréat des sciences expérimentales au lycée Dr Benzerdjeb. Parmi ses camarades, Sid Ahmed Bedjaoui l’écrivain qui deviendra journaliste, critique de cinéma connu du public algérien. En 1957, celui-ci lancera l’association des amoureux du cinéma, chargée d’organiser des projections cinématographiques avec débats.

Djamel Eddine nous parle de sa ville Tlemcen (les sources), et de sa riche et longue histoire que ne saurait contenir un article. Capitale intellectuelle et religieuse, laquelle selon EL Bessenouci dans la revue « Minbar du patrimoine archéologique », nous apprend que son premier nom sous l’antiquité était Agadir (le rempart ou grenier collectif fortifié), qui constituait une forteresse berbère. Puis, les Romains bâtirent sur ce site  Pomaria (les vergers), dont les fouilles ont révélé la présence d’un poste militaire avancé. Nous en savons plus sur la ville à partir de l’époque musulmane où Agadir devenue 7e siècle une métropole Zenata des Beni Ifren. Youcef Ibn Tachfine, le chef des almoravides, qui conquit la ville en 1136, fit édifier une nouvelle cité à l’ouest d’Agadir qu’il nomma Tagrart (campement), ainsi que la Grande mosquée, l’une des mieux conservées témoignant de l’art almoravide.

Tlemcen de par sa position de ville étape entre l’Orient et l’Occident, fut très convoitée par les différentes dynasties qui régnèrent. Les Almoravides puis les Almohades en firent une capitale régionale. Sous les Zianides, entre le 13e et le 16e siècle, elle devint la capitale du Maghreb central. En 1299, elle est assiégée par le Mérinide Abou Yacoub qui construit à côté, la ville de Mansourah connue pour son minaret  et dont le site est accessible aux visiteurs. La citadelle El Mechouar, qui était la résidence des rois Zianides, constitue un joyau architectural édifié au 13 ème siècle par  Yaghmorasan, le premier sultan de la dynastie des Beni Abdelwadid. Elle a également été restaurée pour être accessible aux visiteurs. Djamel Eddine revient sur l’artisanat de Tlemcen qui fut jadis florissant et qui a maintenant malheureusement disparu.

Par le passé, les tanneries et le travail du cuir fournissaient la babouche et le serdj (selle de cheval) tandis que la dinanderie offrait les ustensiles de cuivre du quotidien. La bijouterie qui fournit de belles pièces portées par les femmes, a résisté à l’érosion des traditions artisanales. Dans le tissage on retrouve le hanbel, le tapis de Tlemcen que se sont appropriés les marocains. La couleur de la laine, blanche, noire, marron était naturelle, avec des motifs berbères. Il y a bien sûr l’habit traditionnel dont la Shadda, faite de soie brodée de fil doré avec un caftan et une couronne ou coiffe conique, la shashia qui est le costume pour la cérémonie de la mariée dont l’ensemble richement décoré et le rite nuptial sont classés au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Djamel nous invite à visiter le musée d’art et d’histoire de Tlemcen installé dans l’ancienne mosquée Sidi Abu El Hassen bâtie par le sultan Al-Zyani Abu Tachfin. On y trouve Edraa, la coudée royale, une pièce en marbre, qui était l’étalon de mesure, dont le dépositaire et le contrôleur, était le sultan.

Le bac acquis, Djamel Eddine aspire à suivre un cycle universitaire dans la pétrochimie, par passion pour ce secteur industriel. Pour cela, il fallait se rendre à l’université de pétrochimie de Strasbourg ou de Nancy, qui venaient d’accepter sa candidature. Dans une société bien ancrée dans les traditions patriarcales, le projet avait été rejeté par son père en raison de l’éloignement. Celui-ci, qui envisageait plutôt l’avenir de son jeune fils dans la pharmacie, sollicita l’honorable pharmacien de quartier, Monsieur Benalioua, pour appuyer sa volonté et intervenir auprès de Djamel Eddine. Monsieur Benalioua était le notable de la ville, incarnant ce personnage en blouse blanche à la fois respecté et estimé. Il  développa son argumentaire vers Djamel Eddine, et lui offrit de réaliser son stage de propédeutique (stage préparatoire à la poursuite des études) au sein de son officine, un préalable pour l’inscription à la faculté de pharmacie.

Fort d’un tel encadrement, notre jeune Hassaine, après avoir réalisé les formalités administratives à la faculté d’Alger, s’embarqua dans cette filière qui débuta par le stage de 12 mois et la constitution d’un herbier. Pour l’anecdote, l’herbier devait contenir près de 400 plantes séchées dont 200 étaient au programme. Djamel Eddine se souvient que l’examen de validation de stage débuta la matinée avec la reconnaissance, en une minute chrono par plante, de 45 spécimens dans une grande salle où étaient exposés les échantillons . L’après-midi fut consacré à la reconnaissance des réactifs chimiques et le lendemain, à la réalisation d’une préparation galénique.

La troisième phase était le grand oral, où l’étudiant devait répondre aux difficiles questions des professeurs. C’est seulement après avoir validé ces étapes de propédeutique, que l’inscription en première année de pharmacie pouvait être envisagée. Djamel Eddine se souvient d’un événement tragique qui survint alors le 7 juin 1962, moins d’un mois avant la proclamation de l’indépendance. L’OAS, organisation terroriste pour une Algérie française, réagissant à l’annonce du cessez-le-feu, perpétrait un acte ignoble en incendiant la bibliothèque universitaire de la fac centrale. Près de 500.000 livres furent brûlés ou endommagés. L’université d’Alger avait dû fermer ses portes. Le secrétaire général de la faculté envoya une correspondance solennelle à chaque étudiant pour expliquer, avec regret, la situation et la nécessité de poursuivre les études en métropole (France).  Djamel Eddine avait reçu l’accord d’un pharmacien maître de stage, sympathisant de la cause algérienne, à Strasbourg pour terminer son stage.

Lors de son départ, alors que l’aéroport d’Oran avait subi une série d’attentats de l’OAS, il dut transiter par le Maroc. A Rabat, il lui avait alors été proposé de réaliser son stage dans le pays frère, c’est ce qu’il fit. Il y passera finalement son examen de stage le 10 juillet 1962 : reconnaissance, préparation et oral avec un jury présidé par le professeur Fernand Sabon. Lorsque ce dernier eut connaissance de la nationalité algérienne de notre jeune homme, son visage produisit spontanément une expression qui n’augurait rien de bon. Djamel Eddine, qui perçut une réaction de rejet chez le professeur, comprit que ses chances de réussite étaient très maigres. Avec beaucoup de persévérance, il plia bagage puis retourna à Alger pour y repasser l’examen dans une atmosphère plus saine. A son arrivée, ce jeune homme de 20 ans,  découvrit la situation de chaos post-guerre avec destruction des immeubles et des commerces qui avaient été plastiqués par l’organisation terroriste des partisans de l’Algérie française.

Djamel Eddine s’installa à la cité universitaire de Ben Aknoun, en attendant une hypothétique programmation de l’examen. Ayant eu connaissance de l’adresse du professeur Rocques, de la faculté, il se rendit avec ses camarades chez celui-ci pour l’interpeller sur la situation des étudiants. Sensibilisé par le plaidoyer, le professeur organisa l’examen de validation pour ces étudiants, dont le défunt Abderrahim Zemmouchi et Bachir Nafir de Biskra. Tous deux seront plus tard d’éminents membres fondateurs du SNAPO (syndicat des pharmaciens). Au cours de son cursus, Djamel Eddine fera fonction d’interne au CHU Mustapha dans le service du professeur Lacroix qui en était le pharmacien chef. Cet internat rémunéré dura jusqu’à l’obtention du diplôme de pharmacien, précédent le concours national d’internat tant espéré qui n’a jamais eu lieu. Il gardera cependant de bons souvenirs de ce passage à Alger, malgré une série d’événements qui ont jalonné son séjour. Il traversa le renversement du président Ahmed Benbella par le colonel Houari Boumedienne le 19 juin 1965. Il a vécu les préparatifs de la seconde conférence afro-asiatique en 1965, dix ans après la réunion historique de Bandoung (Indonésie, avril 1955). Cette conférence devait réunir 29 pays africains et asiatiques qui affirmaient leur volonté commune d’indépendance et de lutte contre le colonialisme, premier pas du mouvement des pays non-alignés. Elle n’a finalement pas eu lieu.

A Ben Aknoun, la vie des étudiants s’organisait. Ainsi chaque fin de semaine, se tenait au foyer, le cinéclub où la jeune génération, emprunte de nationalisme et forte d’une grande culture, lançait les débats qui introduisaient des réflexions approfondies et exploraient la profondeur des thèmes des films projetés. La période euphorique de l’accession à l’indépendance, était propice à l’expression artistique et les musiques andalouse et chaabi, ancrées dans les traditions séculaires et empruntes d’histoire, trouvaient auprès des étudiants un public sensible à leur authenticité.

Djamel Eddine appartient à cette génération d’étudiants formant des intellectuels ayant un sens aigu de leur rôle dans le développement de la société, abordant les questions du moment dans un esprit critique, ce qui témoigne de leur désir de contribuer à la construction de cette jeune Nation. Ainsi, il assistait avec de nombreux camarades, aux conférences données par le penseur Malek Bennabi, dans le lycée Amara Rachid mitoyen de la cité, abordant les grands thèmes de la civilisation, de la culture, de l’idéologie, de la renaissance islamique, etc. Par ses réflexions qui ont fait l’objet de publications de nombreux ouvrages, Malek Bennabi a profondément influencé la pensée arabe et islamique moderne. Djamel Eddine Hassaine ajoute que Malek Bennabi était un visionnaire qui les avait marqués. Poursuivant dans cet élan intellectuel, Djamel Eddine rappelle que les étudiants exprimaient toute leur sympathie pour le leader cubain Che Guevara, un révolutionnaire qui prônait la lutte pour la libération des peuples contre le colonialisme avec une vision internationaliste qui appelait à la solidarité entre les peuples. Ajoutons à cet environnement que Djamel Eddine a aussi grandi avec le discours nationaliste de Massali Hadj, le leader politique algérien engagé pour l’indépendance de l’Algérie. Ce riche parcours universitaire pluriel, aboutit à l’obtention du diplôme de pharmacien en 1967 au moment de la guerre des six jours qui opposa l’Egypte, la Syrie et la Jordanie à Israël.  Fin part1

Abdellatif Keddad
Abdellatif Keddad
Journaliste médical
Recent Posts
Contact

We're not around right now. But you can send us an email and we'll get back to you, asap.

Not readable? Change text. captcha txt